Johan Muyle, biker street artist

Johan MUYLE, Sculpture Surfing, préface d’Éric Fabre, Éditions du Caïd, 2018, 80 p., 35 €, ISBN : 978-2-930754-12-3   

Acteur multi-activiste de l’art contemporain en Belgique, connu tout autant pour ses grandes fresques murales réalisées avec (et à la façon) des peintres affichistes de Madras en Inde, que pour ses constructions et assemblages d’objets animés par de minutieux mouvements d’horlogerie, mixant à la fois les cultures populaires, les conflits médiatisés du monde actuel, et les jeux ironiques du langage, écrit ou visuel, Johan Muyle (Charleroi, 1956) est aussi un passionné de moto, et particulièrement de l’une des marques les plus mythiques de l’histoire des deux-roues motorisés : la Harley-Davidson.

À la faveur d’une exposition que lui a proposée cet hiver le Garage Cosmos à Bruxelles, Muyle a tout naturellement, et avec le souci du détail qu’on lui connaît, organisé le croisement de ses différents centres d’intérêts. Ou plus exactement, il a mis en lumière une partie moins connue de ce qui constitue également un axe moteur de son univers personnel : ses activités de biker, sa passion pour les engins qui peuvent rouler vite, son goût pour l’imagerie de la vitesse, et la forme artistique de réflexion (entre art d’attitude et street art) qu’il peut y déployer.

L’exposition présentait exclusivement quatre Harley-Davidson, complètement customisées par l’artiste, du casque aux poignées de guidon et au réservoir, en passant par les jantes à rayons, les marchepieds ou accessoires de carrosserie. Partout, des inscriptions, des incrustations, des couleurs volontiers kitsch, et une armature, noire ou chromée, impeccablement ripolinée ! Pour ceux qui n’auraient pu voir ces bêtes de scène, mais également pour compléter par un second angle d’attaque le projet et l’inscrire durablement dans le parcours de Muyle, un album grand format a été réalisé. On en doit les superbes photographies, présentées pleine page, à Pascal Schyns, par ailleurs maître d’œuvre des Éditions du Caïd qui publient l’ouvrage.

Éric Fabre, du Garage Cosmos, revient dans sa préface sur les rapports entre art, sculpture et vitesse dès le début du XXe siècle. Le caractère iconique et populaire de la Harley est célébré par le cinéma (Marlon Brando dans L’Équipée sauvage, 1953, Peter Fonda avec Easy Rider, 1969) mais aussi la musique (Dylan, Bardot et Gainsbourg, Springsteen). Johan Muyle, lui, travaille sur cette imagerie d’Épinal du XXe siècle ardent, ses codes de camaraderie, de violence rebelle et parfois de voyou (façon Hell’s Angels) avec un sens certain de l’entre-deux, de l’entrejeu.

Ainsi, lorsqu’il fait figurer l’inscription « Hollister » sur le réservoir, il y adjoint un « Memento Mori » qui traverse toute son œuvre. Une forme de « vanité » contemporaine à double sens, si l’on se souvient que la petite ville de Hollister, lieu de rassemblement en Californie de l’American Motorcycle Association depuis les années 1930, fut le théâtre en 1947 d’un concours de beuveries et de rixes entre bandes de motards, démesurément monté en épingle par la presse de l’époque (et notamment le magazine Life). Et quand Muyle s’adonne au « Motorcycle surfing », (soit lâcher le guidon et se positionner debout sur la selle de son engin qui trace la route), c’est bien d’une forme de performance artistique qu’il s’agit – que ponctue le jeu de mots « Sioux in Paradise » inscrit sur son casque.

Ce bel ouvrage particulièrement soigné est également accompagné de dessins, de schémas et de plans, où le lecteur s’amusera à chercher le sens caché d’un détail ou d’une inscription. Que l’on soit fasciné ou non par l’univers des bikers, on ne s’ennuie jamais dans cette virée à deux roues que propose Johan Muyle.   

 Alain Delaunois