« Mais alors, avant d’être ensemble, qu’avions-nous vu ? »

Un coup de cœur du Carnet

Eva KAVIAN, L’homme que j’aime, Carnets du Dessert de Lune, 2019, 66 p., 12 €, ISBN : 978-2930607597

Eva Kavian est une autrice qui touche à tous les genres, écrit pour tous les âges et anime des ateliers d’écriture. Poésies, road-movie mésolithique, manuel pour apprenti écrivain, romans pour enfants ou adolescents, souvent elle invente des vies à ses personnages. Parfois, elle raconte la sienne.

Dans ce recueil de petits poèmes en vers libres, elle raconte l’amour. Le sien. Celui qu’elle nomme « son mari » et elle s’entrecroisent dans des textes simples, épurés, ténus. L’autrice y lève un coin du voile qui recouvre un amour dont il semble en même temps qu’elle ne souhaite pas trop en révéler, comme pour mieux préserver quelque chose de précieux. Elle raconte, ou plutôt chante leur relation, sans l’étaler, sans platitude, d’une façon touchante de justesse.

Tu me dis que je suis belle
avec ou sans lunettes
et pourtant sans tes lunettes
tu ne vois pas grand-chose
c’est peut-être
mon flou
que tu aimes
ou ce que tu sais
de moi
invisible
ou ce que ta main
te raconte
de mon âme
sur ma peau.

Leur couple, tardif, savoure le fait d’être ensemble et semble particulièrement conscient que la vie, qu’ils n’ont plus devant eux, est courte et que leur amour aura, par conséquent, une fin. Inquiets, mari et femme semblent guetter les signes annonciateurs d’une fragilité, puis s’émerveillent de leur bonheur.

Un de nous deux
mourra
avant l’autre
impossible
de savoir
lequel des deux
va gagner
de ne pas perdre l’autre

Jour, nuit, ensemble, séparés, à table, au lit, en voyage, sur écran. Les jours s’égrènent et le quotidien semble ravir l’autrice avec ses baisers, enlacements, risotto aux champignons, journal posé sur la table, café brûlant. En quelques mots, Eva Kavian réussit à évoquer toutes les nuances et la richesse d’une liaison heureuse, dont elle aurait aimé qu’elle commençât plus tôt.

Publié dans la collection « Dessert à l’italienne », nommée ainsi en raison de son format horizontal, le livre accole aux poèmes d’Eva Kavian les illustrations en noir et blanc de Marie Campion. Ces gravures ponctuent les textes sans s’imposer.

Un petit bijou qui raconte la vie heureuse, la conscience de son aspect éphémère, l’entrelac de deux vies, pour le meilleur.

Fanny Deschamps