Maître Losseau, Rimbaud, Esther et Bastien

Alexandre MILLON, 37, rue de Nimy. Les incroyables Florides, Murmure des soirs, 2019, 170 p., 17 €, ISBN : 978-2-930657-51-6

Pour les Montois curieux de leur belle ville, le titre du dernier livre d’Alexandre Millon, 37 rue de Nimy, publié aux éditions Murmure des soirs, évoquera l’adresse d’une demeure bourgeoise remarquable et un haut lieu de la culture littéraire depuis qu’il a été rénové. Pour les autres, il aura le mérite de les intriguer. Quant au sous-titre, Les incroyables Florides, il parlera aux rimbaldiens acharnés, qui se souviendront des vers du Bateau ivre : « J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides/Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux/D’hommes ! »

Intérieur de la maison Losseau

Mons – Rimbaud : quel rapport demanderez-vous ? Il se trouve, et Millon s’en explique dès l’ouverture du récit, dans la personnalité hors du commun de Léon Losseau (1869-1949), avocat au barreau de Mons, photographe passionné par le « regard sur la banalité », numismate, propriétaire d’une demeure Art nouveau devenue la Maison Losseau, membre de plusieurs sociétés savantes, libéral attaché à la garantie des droits individuels et, pour ce qui nous concerne, bibliophile. En 1901, par un de ces hasards dont on doute qu’il en soit un, Léon Losseau découvre chez un imprimeur bruxellois une pile empoussiérée d’exemplaires d’Une saison en enfer, écrit par Rimbaud en 1873. Conscient d’avoir mis la main sur un texte incroyable, le collectionneur éclairé rachète le stock. Il en fera bénéficier plusieurs de ses amis par la suite. Et sauve de l’oubli l’œuvre du « voyant voyou ou voyeur » ! À la suite de ce personnage de la chronique montoise, Alexandre Millon nous décrit la vie dans la ville en 1901 d’abord, en s’attachant aux gens simples que Losseau considère avec empathie. Parmi ses proches, figurent également les concepteurs du Mundaneum, sorte de bibliothèque universelle : Paul Otlet et Henri La Fontaine, qui fut prix Nobel de la Paix en 1913. Excusez du peu. Homme de passions, Losseau le fut également envers Berthe et Florine de manière, hélas pour lui, éphémère.


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À mi-parcours, le roman bascule dans l’époque contemporaine pour suivre Bastien et Esther, laquelle écrit une pièce de théâtre inspirée d’un poème de Rimbaud, les Réparties de Nina. Losseau est oublié et Millon s’attache aux pas de ces deux personnages qu’un tendre amour va rapprocher peu à peu. S’amusant des mots, des sens et des sons, l’auteur laisse affleurer quelques pensées de son cru. Quelques exemples : « La meilleure ligne de départ, c’est de s’aimer soi-même, de sorte qu’on peut apposer sa vraie signature au bas de sa propre générosité » ; « Plus notre conscience pèse, s’enlise, plus notre inconscience devrait sourire au soleil et quitter sa résidence surveillée » ; « Penser l’autre c’est déjà se ralentir. Une récréation de soi en somme » ; « Plus on se croit au centre du monde, plus on se raconte des histoires sur les concordances »… Concordances suggérées entre Léon Losseau, Arthur Rimbaud, Esther Mazel, Bastien Ledoyen… et probablement Alexandre Millon lui-même.

Michel Torrekens