La ronde honnie

Stanislas COTTON, Le joli monde, Murmure des soirs, 2020, 94 p., 16 €, ISBN : 978-2-930657-58-5

Une plume s’offre à une autre pour écrire son œuvre posthume et raconter l’indicible, l’ineffable ; ce que personne ne peut accepter ni comprendre. Et surtout pas l’humanité. Peu avant sa mort, Ariel Bildzek, ce géant de la littérature mondiale, m’a révélé ce qu’il n’avait jamais raconté à personne.

La réalité nazie reste sans réponse possible, incommensurable et sans réconciliation entre l’être et l’humain. Et justement… si être humain n’était pas un lumineux supplément d’âme, mais bien une sombre erreur de la nature ? Je suis entré, j’ai repoussé le panneau et je me suis retrouvé nez à nez avec un type qui me souriait. J’ai remarqué une tête de mort sur le col de son uniforme.


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Le roman Le joli monde de Stanislas Cotton témoigne une fois encore, une fois de plus… sans foi. Il ajoute à la profusion. La deuxième guerre mondiale et toutes les autres génocidaires, interdisent la pensée au cœur de son processus. Tous les conflits laissent des millions de voix sans mots et des milliards de mots sans issues. La lettre non pas comme une impasse mais comme un barrage.

– Rendre justice est une tâche insurmontable.
– Mais bien sûr que non !
– Mais bien sûr que si ! Vous vous donnez l’illusion d’accomplir un devoir. Il vous faut des chimères pour apaiser vos aigreurs de conscience. On ne répare pas l’irréparable et on ne rend certainement pas justice. Avant – pendant – après, voyez la ligne du temps quand il fallait être présent.

La barbarie est sourde et aveugle. Elle sourd partout pour toujours. La violence est un passé continu qui exclut le présent et tue tout avenir dans l’œuf. C’est ici que bloque peut-être notre faculté de réflexion. Anéantissant jusqu’au futur, la violence nous est supraliminale. Elle dépasse notre entendement et donc, notre capacité d’agir. Seul barrage, peut-être, la lettre.

S’en réclamant par admiration, Stanislas Cotton cite : Rater mieux, disait Beckett. Je m’incline une fois de plus, devant le génie de la formule. Quelle acuité de l’esprit. Écrire, c’est recommencer. Recommencer. Recommencer… Recommencer infiniment. Il est certain que chaque œuvre nouvelle fait de nous un débutant.

Le joli monde vaut beaucoup mieux qu’un raté. Il recommence encore le propos de l’horreur en sa ronde infiniment honnie. Et il est certain que chaque terreur nouvelle — hier nazie, puis rwandaise et maintenant syrienne —, fait de nous des débutants. Désarmés, démunis, nous cherchons sans espoir ce supplément d’âme qui ferait de nous des humains.

Tito Dupret