Un rêve de cinéma

Alain BERENBOOM, Le rêve de Harry, Genèse, 2020, 248 p., 22,50 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 979-1-0946896-22

« Un rêve de bagel, c’est un rêve et non pas un bagel » disait Harry, l’oncle de Michaël. Soit, le rêve du petit pain ne rassasie pas. Mais il peut donner faim ou créer des envies. C’est ce qui arrive dans ce roman, Le rêve de Harry, à Michaël, agent immobilier dans le Bruxelles des années 2000, après avoir été détective privé. Difficile de faire fortune dans ce métier où tous les coups sont permis. Mais le hasard peut bien faire les choses.

Une de ses clientes, Madame de Timmerman, lui confie la vente d’un cinéma en ruine du centre ville, le Crystal Palace. Or, ce cinéma est précisément celui que son oncle Harry avait rêvé de pouvoir acheter. Harry et sa femme Herta ont bercé l’enfance de Michaël par les histoires de leur vie agitée. L’occasion est belle pour l’agent immobilier de pouvoir monter un projet de réhabilitation et de redonner existence à ce lieu qui a fait rêver tant de cinéphiles. Mais, le bagel peut, par exemple, être trop cuit et ne pas correspondre au goût que l’on avait imaginé. Comment vivre la fin d’un espoir un peu fou ? S’obstiner encore ?

Michaël peut compter sur l’efficacité de sa secrétaire Clarisse. Et surtout sur Camille, rencontrée à la terrasse d’un café, qu’il ose prudemment poursuivre de ses avances. Professeure d’histoire, elle se pique au jeu, est séduite par Michaël autant que par le récit de la vie de Harry et du lien que celui-là entretient avec son oncle défunt. Elle devient ainsi une assistante informelle.

Dans un premier temps, on peut croire qu’Alain Berenboom développe un polar, avec un nouveau personnage. Des faits potentiellement criminels laissent au lecteur la possibilité de croire à une enquête. Finalement, il n’en est rien. L’accent est mis sur la personnalité de Michaël qui, comme d’autres héros de l’auteur, pourrait apparaître comme un loser. Mais, la relation atypique avec le beau personnage de Camille lui permet de prendre son destin en mains, de n’être ni victime ni héros, à l’inverse d’autres protagonistes. Le roman prend une coloration plus intimiste, les deux personnages se disant leurs fractures.

Harry et Herta sont inspirés de personnes réelles de la famille de Berenboom, dont il avait déjà esquissé la vie à travers les turbulences du 20e siècle, dans Monsieur Optimiste. Ils prennent ici un relief particulier. Avec beaucoup de délicatesse, l’auteur montre comment l’Histoire pèse sur les vies, comment, par l’audace, il est possible de se reconstruire. Ou de ne pas pouvoir sortir du cauchemar, comme un certain Jack Berger. Par petites touches, l’écrivain montre l’antisémitisme se manifester à tout moment et corrompre les relations sociales, autant que les plus beaux projets.

Le rêve de Harry est aussi pour Alain Berenboom l’occasion de sacrifier à sa passion du cinéma. Dans le Berlin de l’après Première Guerre, l’oncle a travaillé dans le milieu de cet art qui s’inventait alors ses règles et ses codes. Il s’est ensuite chargé de la distribution de ces films… en Chine. Avant de devoir fuir, changer de métier, et finalement pouvoir revenir à ses amours en gérant des salles à Bruxelles. Et Herta a dû renoncer à sa carrière d’actrice et fuir Berlin de plus en plus gagnée par la peste brune.

L’écrivain cinéphile adore jouer. Il rend aussi hommage à l’histoire du cinéma : les quarante-trois chapitres portent chacun le titre d’un film qui donne le ton de ce qui est raconté.

Mais, le Crystal Palace brillera-t-il à nouveau de mille feux ?

Joseph Duhamel