Les Hussards noirs (jaunes, rouges) du Royaume

Désiré-Joseph d’ORBAIX, Le don du Maître, Préface de Renaud Denuit, Samsa, 2019, 222 p., 18 €, ISBN : 978-2-87593-264-8

S’il y a en France une tradition littéraire pour évoquer les « Hussards noirs » – expression forgée par Charles Péguy dans L’argent et dans son retentissant pamphlet De Jean Coste –, on en retrouve également une dans les lettres belges, même si l’approche des instituteurs y est a priori moins polémique et politique. Pensons par exemple à l’étonnant Crânes tondus (1930) de Constant Burniaux, galerie de cancres, de naïfs, de malicieux, de rêveurs du dernier rang, croqués par le regard à la fois narquois et bienveillant d’un narrateur qui n’est autre que leur Maître.

« Le Maître d’école », quelle appellation, et pour quelle imposante figure ! Mais se concentrer sur ce personnage central de l’enseignement et de l’éducation ne doit pour autant pas faire oublier le cadre dans lequel il s’inscrit ni l’institution qu’il représente. Le don du Maître que publie Désiré Joseph d’Orbaix en 1922 ne néglige aucune de ces dimensions.

La quatrième de couverture l’affirme avec justesse : « Plus qu’un reportage ou un témoignage intéressant, Le don du Maître est une œuvre littéraire. À chaque page s’épanouit l’écriture soignée, surprenante et belle d’un esthète généreux, dont la mémoire visuelle a retenu des scènes émouvantes et vraies. » Mêlant poèmes et proses dans une dynamique originale, d’Orbaix nous propose de le suivre sur le chemin de l’école, d’entrer dans la cour, d’assister au « tumulte éblouissant » de la cour de récréation. Il nous détaille le gymnase, les horloges murales, s’attarde sur le matériel ou les éléments du mobilier scolaire (l’éponge, le banc-pupitre, le journal), si bien que la narration déictique qui empreint ces pages (ici, vois…) en fait peut-être l’un des premiers récits de nos lettres à être mené « caméra à l’épaule »… Puis vient le moment des souvenirs, des portraits, et l’album laisse échapper ces yeux « lavés de lumière » et grands ouverts sur la découverte, les « pouah » lâchés à la première cuillerée de soupe à la cantine, les galoches qui se perdent, les prix qui se distribuent, l’anecdote émouvante et drôle de l’accueil de « l’écolier noir »…

Texte relevant de la littérature confidentielle devenue populaire – son tirage initial fut de 500 exemplaires, puis il fut régulièrement réédité jusqu’en 1943 –, Le don du Maître méritait de sortir de la classe de retenue où il avait été oublié. Abstraction faite de sa couleur sépia et de ses références surannées, ce livre nous rappelle que, quelles que soient les techniques (les technologies ?) et la pédagogie en vogue, la mission sacrée de transmettre fait l’éternelle actualité du métier d’enseignant.

Il était bon aussi de replacer dans la lumière le nom de Désiré-Joseph d’Orbaix, poète et écrivain fécond de l’entre-deux-guerres. Le Hesbignon fut reconnu de son temps au point que le 24 avril 1955, la commune d’Uccle, où il vécut de 1925 à sa mort, donne son nom à une avenue. Y étaient présents, outre le bourgmestre De Keyser, quelques officialités et le Président de l’AEB de l’époque Alex Pasquier, un garçonnet de quatre ans, peinant à rester pleinement attentif à l’interminable hommage rendu à un grand-père dont il comprend qu’il était un « homme important ». Soixante-cinq ans plus tard, Renaud Denuit honore à nouveau cet aïeul qu’il n’a certes pas connu, mais dont il aura mieux que nul autre su réhabiliter la mémoire littéraire.

Frédéric Saenen