De la « pEAUésie »

Poèmes de pluie. Une proposition de Mélanie Godin, CFC et Arbre de Diane, coll. « Regard sur la ville », 2019, 18 €, ISBN : 978-2-87572-046-7

Il est un cliché tenace, pourtant exact, à propos de la Belgique : il y pleut constamment. Mélanie Godin et son équipe en auront tiré parti, en proposant de la « pEAUésie » en plein cœur de Bruxelles.

De 2017 à 2019, Mélanie Godin a imaginé et coordonné des interventions artistiques dans Bruxelles, à la rencontre de ses habitants, invitant chacun à (ré)introduire de la poésie dans son quotidien.

Des poèmes, d’ici et d’ailleurs, écrits par des poètes reconnus ou lors d’ateliers d’écriture, ont été typographiés sur des pochoirs en carton et appliqués dans l’espace public, à l’aide d’une peinture uniquement visible au contact de l’eau. Indécelables jusqu’alors, les poèmes apparaissent comme par magie sous l’effet de la pluie ou de jets d’eau, à même un trottoir, sur une marche, un mur. Puis ils disparaissent à nouveau, dans l’attente d’un nouvel arroseur.  (Note de l’éditeur)

« pEAUésie » est un projet de grande envergure, déployé à l’initiative de Mélanie Godin qui, en sa qualité de directrice des Midis de la Poésie, d’éditrice de L’Arbre de Diane et de fondatrice de SonaLitté, multiplie les initiatives œuvrant pour une large diffusion de la poésie. « pEAUésie » met en effet la poésie à disposition de tous et toutes, s’alignant de ce fait dans l’horizon actuel de sa démocratisation. Ce projet réunit plusieurs acteurs bruxellois (comme l’ERG, l’HEC, Recyclart pour n’en citer que quelques-uns) et des poètes connus ou d’autres « anonymes ». Les quartiers ou communes bruxelloises investis (Watermael-Boitsfort, Molenbeek-Saint-Jean, Ganshoren, Les Marolles et le centre de Bruxelles), représentés par un acteur du secteur culturel, partagent leur expérience de cette aventure dans l’ouvrage Poèmes de pluie, co-édité par CFC-Éditions et L’Arbre de Diane.

De belle facture, agrémenté de photographies et de témoignages, l’ouvrage Poèmes de pluie rend compte de la démarche et du cheminement du projet. Scindé en différentes couleurs (une pour chaque commune bruxelloise impliquée dans le projet), ce livre donne la part belle à chacune des personnes et des instances qui y ont pris part. La double vocation du projet y est patente : il vise, d’une part, à articuler la fugacité de la poésie à la question de la mémoire et, d’autre part, à fédérer différents lieux bruxellois autour d’un projet commun, comme « une belle manière de défendre et de promouvoir les droits culturels » (propos de Virginie Cordier, directrice de la Vénérie) En témoignent par exemple les très belles pages à propos d’un slogan contestataire placé au sol avec les étudiants de l’IHECS, défendant le droit des exilés et rappelant une fois de plus, avec force, que no one is illegal. Avec émotion, l’on voit également apparaître, sur une photographie, Ali aux côtés d’Aliette Griz et de Milady Renoir.

Si « au démarrage du projet pEAUésie, il était prévu qu’un poème soit inscrit de manière pérenne dans l’espace public de chaque commune investie », c’est l’éphémère et la fugacité des poèmes, à l’image de notre propre fragilité, qui y est célébrée. En effet, la question de la trace sous-tend l’ouvrage, jusque dans la réflexion quant au support typographique même, de la « quantité d’ombre et de lumière que l’on souhaite donner aux mots » (propos de Nathan Becker, typographe). Cette mémoire se voit par ailleurs doublée de celle des poètes qui ont cheminé dans Bruxelles et qui y ont des souvenirs. Ainsi de Serge Meurant, par exemple, « le promeneur mélancolique » évoquant ses souvenirs d’Ixelles.

« Don’t let them tell you poetry is bullshit » (Ferlinghetti) : puissent ces mots, typographiés sur un pochoir tenu joyeusement par ce garçon de six ans (dont la photographie est reproduite dans l’ouvrage) se faire arroser encore et encore dans les rues de Bruxelles pour communiquer la force de la poésie telle qu’elle nous est proposée dans cet ouvrage : enthousiasme, mémoire et transmission, bienveillance et engagement en faveur des plus démunis.

Charline Lambert