Barbara ABEL, Et les vivants autour, Belfond, 2020, 443 p., 19 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 978-2-7144-9316-3
Voilà quatre ans que Jeanne n’est plus là, sans vraiment être partie non plus. Son corps repose sur un lit d’hôpital, un peu comme un appareil électrique en stand-by : alimenté mais inactif. Son esprit semble en pause, ou absent, ou en tout cas hors d’atteinte. Néanmoins, depuis ses contrées inconnues, Jeanne continue d’influencer la vie de sa famille.
Celle de son mari que la culpabilité éloigne de nouvelles aventures amoureuses. Celle de sa mère, modèle d’abnégation, qui refuse de renoncer à l’espoir d’un réveil de plus en plus improbable. Celle de son père qui, malgré la visite de sa fille dans ses cauchemars, n’a jamais pu se résoudre à faire cesser ce que certains qualifient d’acharnement thérapeutique. Celle de sa sœur Charlotte aussi, qui aspire à une embellie après des années de galère. Celle de son beau-frère enfin, qui ne peut plus cacher son irritation face à la situation : « …ce qui est dégueulasse, c’est que toute notre vie dépende du carnet de santé de ta sœur. On est tous coincés parce qu’elle ne se décide ni à vivre ni à mourir. » Et si l’on compatit à la douleur de Charlotte, on comprend également l’aigreur de son mari. « Voilà quatre ans que l’ombre de sa sœur plane sur eux. Comme s’ils n’avaient plus le droit pour de vivre « pour de vrai » tant qu’elle-même était morte « pour de faux ». »
Et voilà que cette ombre devient plus encombrante encore. Depuis son coma, Jeanne réussit encore à les surprendre. Une situation invraisemblable se présente, une décision devra être prise mais le consensus ne s’impose pas, et la concertation est minée d’avance. De souvenirs en règlements de compte, Barbara Abel fait sauter le vernis du tableau familial de départ, faisant vaciller les apparences. Dès le début, une certitude s’impose : aucune image n’en sortira indemne.
Le titre ne trompe pas : le personnage central de Et les vivants autour ne l’est plus vraiment, lui, vivant. Les histoires des protagonistes convergent toutes vers Jeanne. Et, plus encore peut-être que leurs histoires, les souvenirs qu’ils se remémorent. Baladant les lecteurs du présent au passé, l’autrice les tient en haleine. Des questions sont posées et les réponses tardent à se dévoiler. Un indice apparaît puis reste suspendu, le temps de se tourner vers un autre aspect de la trame du récit, un autre personnage, un détail des circonstances… Le-a lecteur-rice déduit, imagine, et attend la confirmation ou la réfutation de ses intuitions. Les diverses digressions frustreront les plus pressés d’arriver à la résolution de l’intrigue, et stimuleront les amateurs de suspense, à la fois avides de connaître le dénouement et ravis qu’il se laisse désirer.
Estelle Piraux