Benoît SAGARO, La conjonction dorée, Nouveaux auteurs, 2020, 546 p., 19,95 € / ePub : 13,99 €, ISBN :978-2-8195-0615-7
Une belle mise en place
Une note, avant l’ouverture du récit, tente de lui conférer une dose de crédibilité, teintée d’une mise en alerte narrative : le projet spatial américain aurait profilé dans son sillage une litanie de disparitions inquiétantes ; il y a à Athènes, dans le musée archéologique national, un objet antique, le mécanisme d’Anticythère, qui n’en finit pas d’interpeller les chercheurs. Un prologue, dans la foulée, zoome sur une machine engourdie par le froid lunaire. Elle se dresse à côté des débris d’un module, d’empreintes « connues de l’humanité entière » et qui, pourtant, recèlent les indices d’une « histoire dramatique ». Soudain, « une lueur verdâtre » sur un écran, des chiffres défilent, tout se fige, une « lueur rougeâtre » et le mot « ERROR ».
Le grand écart, déjà, s’esquisse entre Athènes et la Lune, les mystères antiques et l’avenir de l’humanité, des ambiances nous faisant dériver entre 2001, odyssée de l’espace et les aventures de Blake et Mortimer.
Un thriller haletant !
Nous plongeons dans le rythme et l’action dès le début du premier chapitre. Un homme fonce au volant d’un 4 x 4 en direction du haut plateau d’Atacama. Nous sommes au Chili, dans une zone désertique et peu hospitalière. Le temps presse : il doit « arriver sur les lieux le plus vite possible », il reste « quatre jours seulement avant le moment fatidique », un événement imprévisible est advenu, l’humanité ne doit pas savoir.
Troisième ambiance, à la Jason Bourne : ce gaillard est l’« un des hommes les mieux préparés du monde », un ancien des SEAL (force spéciale de la marine de guerre américaine), et il est en mode chasse. Il roule à tombeau ouvert vers une proie, un site :
Il devina les formes blanches, géométriques, alignées face au cosmos. (…) Les quatre observatoires ressemblaient à des vaisseaux prêts à décoller. À cet endroit, la Terre frôlait l’univers.
Changement de décor. Dans une basilique souterraine, un prêtre officie devant une assemblée d’initiés, pratique un sacrifice rituel, évoque le culte des dieux antiques : Déméter, Dionysos, Hadès, Zeus :
Chers frères, le moment tant attendu est proche. D’ici quatre jours, le Soleil, la Lune et les astres vont nous révéler le plus grand mystère d’entre tous. (…) Hadès va libérer nos âmes défuntes pour les laisser voguer vers l’île des Bienheureux.
Retour au site chilien. À l’intérieur du complexe d’observation spatiale le plus perfectionné au monde, Elena Dimitrios, docteur en astronomie physique, est tendue, excitée :
Le jour qu’elle attendait tant était arrivé. Elle allait enfin obtenir des réponses… celles qu’elle espérait depuis des années, depuis la disparition tragique et mystérieuse de son frère.
Ce dernier, Adrian, son aîné et son modèle, l’un des as de l’US Air-Force, devait participer à l’aventure d’Apollo 18 en 1973, mais les budgets ont été coupés, il a disparu au cours d’une mission secret-défense. Elena a flairé un non-dit, elle s’époumone depuis à remonter l’écheveau. En 1983, elle a vécu un deuxième traumatisme. En étudiant la trajectoire d’un astéroïde, elle a noté une anomalie dans les données, une modification de trajectoire inexplicable. Elle s’en est ouverte à un collègue dont l’enquête s’est terminée tragiquement dans une baignoire. Grecque d’origine, Elena lit le grec ancien, une intuition l’a menée à étudier l’histoire de l’astronomie et à appréhender une vérité dissimulée à l’humanité :
Un redoutable mécanisme d’effacement de tout indice semblait à l’œuvre. Par qui ? Pourquoi ?
Au terme de trente années de recherches, elle se devine proche du graal. La preuve ultime est à portée d’observation, elle dirige le télescope vers le point cosmique qui l’intéresse et… Tout s’éteint. Elle est seule et la proie d’un tueur.
Un deuxième fil narratif se tend à l’autre bout du monde, dans le musée d’Athènes, où Xénophon Petropoulos, un ami d’Elena, auteur d’une thèse sur les engrenages complexes de la Grèce antique, examine avec une excitation extrême une boîte ouverte, des inscriptions gravées. Ce qu’il décrypte le laisse abasourdi mais, déjà, un bruit l’alerte. Les lieux sont déserts et c’est la nuit. Elena avait raison. Ils sont menacés.
Vers la page 56, on émerge d’un long prologue qui rappelle celui du Da Vinci Code, avec une surenchère de lieux, d’effets, d’ambiances, un dédoublement, surtout, du grand classique : le détenteur d’un secret est pourchassé, exécuté, mais il a réussi à laisser un message pour un héritier.
Elena et Xénophon vont-ils déjouer notre pronostic ? Le roman véritable débute-t-il avec l’apparition de Christina, la nièce d’Elena, la fille d’Adrian ? Une astronaute qui achève vingt années d’entraînement et s’apprête à décoller pour Baïkonour, au Kazakhstan, où l’attend le rêve de sa vie : quitter la Terre et monter dans l’ISS (International Space Station). Est-ce elle l’héritière de l’énigme à résoudre ? Et quid de la Space Security Special Agency, une cellule américaine indépendante ? Son patron semble plus puissant qu’un président des Etats-Unis, prêt à tout pour sauvegarder son pouvoir et ses secrets, LE secret.
La façon
La conjonction dorée est un page turner pur et dur. La mise en page est soignée, les chapitres sont courts et dynamiques, le découpage est réussi, avec ses divers fils, sa force centripète. Nous entrons dans le livre de Benoît Sagaro avec facilité et plaisir.
Dans un premier temps, on est frappé par la qualité des descriptions, documentées mais équilibrées, la fermeté de l’écriture, l’envergure du projet. Des allures de traduction du grand thriller américain estival ?
Dans un deuxième temps, on regrette l’absence de notations poétiques ou philosophiques, de (quasi) tout plaisir du mot, de la phrase. Les personnages sont davantage esquissés qu’incarnés, leurs relations un peu clichées (Christina se verra dotée d’un compagnon d’aventures aussi séduisant qu’expert polyvalent). Or les livres récents de Jean-Marc Rigaux (Kipjiru) ou de Marcel Sel (Elise ou Rosa) le rappellent : on peut élaborer une trame passionnante investie par le souffle du grand large sans se dispenser d’art ou d’émotion.
In fine ? La conjonction dorée, malgré ses lacunes ou ses limites, emporte du début à la fin. Un incroyable Grand Tour nous balade depuis Athènes jusqu’à Paris, en passant par Rome ou Florence, depuis le mont Paranal chilien jusqu’à la Lune, sa face cachée et son formidable secret. Benoît Sagaro nous offre la grande évasion !
Un mot sur l’éditeur, un concept original
Les nouveaux auteurs sont une maison parisienne spécialisée dans les premiers romans. Ils sont adossés à un magazine féminin (Femme actuelle, le plus gros tirage hexagonal) et à son concours littéraire, ils se passent de comité de lecture et jouent la carte d’une transparence absolue : les tapuscrits reçus sont mis en ligne et jugés par une communauté de lecteurs et de lectrices. Une ébauche de démocratie participative, conjuguée à une volonté d’affirmer de nouveaux talents : quatre lauréats, chaque année, reçoivent un soutien digne d’un best-seller.
Philippe Remy-Wilkin