Une commode bleue contre un mur ocre

Un coup de coeur du Carnet

Marcel SEL, Rosa, ONLiT, 2017, 300 p., 19.50 €/ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-87560-086-8

selTout le monde connaît peu ou prou le blogueur Marcel Sel, qu’on le lise ou pas, qu’on s’en amuse ou qu’on s’en irrite…

Le voilà qui endosse le costume de romancier et, pour un coup d’essai, c’est un coup de maître… et un coup de cœur.

Vous allez commencer à lire ce roman ; vous allez le dévorer et il vous dévorera. 

Le récit démarre de manière vraiment impressionnante, sur quelques pages qui font entrer le lecteur au plus vif de l’antagonisme  – qui confine à la haine, entre le père et le fils.  D’après son auteur (mais lequel ?), le roman aurait d’ailleurs pu s’intituler La Vengeance du Fils ou J’emmerde le Père sur l’idée de « l’histoire d’un homme de trente ans à qui Le Père impose d’écrire un roman ».

Et nous voilà en train de lire le livre sur le livre et le livre dans le livre.  Si ce procédé est classique, il n’en est pas moins efficace, et parfaitement maîtrisé par Marcel Sel.  L’intrigue se passe en Italie et en Belgique, en 1940, en 2000, en 1943, en 1985 mais les transitions et les enchaînements se font avec naturel et efficacité.

La quatrième de couverture promet « une poignante saga familiale » : c’est vrai et c’est même peu de le dire.  On s’attache à la belle Rosa, à cet amour tellement trop court qu’elle connaît avec Giorgio, à son appétit de vie.  On s’attache à Maurice, tellement malheureux d’être méprisé par son père, d’être un bon à rien, même à ses propres yeux.

L’histoire est palpitante et offre au lecteur francophone un point de vue assez rare – et donc dépaysant, puisque les récits de la seconde guerre mondiale se passent ici dans l’Italie fasciste alliée d’Hitler. Voilà bien le paradoxe : « Lui expliquer quoi, Mauro ? Que sur ordre du Duce, on transfère des Juifs en France en se faisant passer pour des contrebandiers ? Si on nous a demandé de nous habiller en civil, c’est bien pour que tout le monde soit persuadé que c’est de la contrebande ! Notre boulot, c’est de sauver les apparences. L’Italie n’a pas envie de passer pour une exportatrice de Juifs allemands ! »

On sourit – même si c’est un peu tristement – de l’imbroglio  surréaliste des fiches d’identité de la mère de Rosa, passant de « Juive déclarée non-juive » en 1938, à « Juive discriminée de la discrimination » en 1941.

Et au sein de cette « grande » histoire, Giorgio, soldat italien de l’armée fasciste,  se retrouvera en mission officielle en Croatie pour contrer les débordements des oustachis contre les Serbes ; il se retrouvera aussi sous la mitraille en train de défendre un pont contre les Allemands, alliés d’hier et occupants d’aujourd’hui, après la destitution de Mussolini.

Et au sein de cette « grande » histoire, Rosa, petite fille de 9 ans amoureuse comme on peut l’être à cet âge du Duce, membre d’une famille résolument fasciste, devient résistante avant d’être arrêtée et déportée.

Qui a trahi Rosa en 1943 ? puisque ce n’est pas Ettore Pallanca.

Cette tragédie pourrait aussi bien s’appeler Des pères et des fils, qui s’évitent, qui se taisent, qui se cherchent : Alberto, Giorgio, Albert, Maurice, à chacun Rosa leur a trop manqué.

Marguerite Roman