La soirée des « Maudits »

Maurice MARTIN, La véritable affaire de Bruxelles, Postface de Jean-Baptiste Baronian, Bruxelles, 180° éditions, 2020, 380 p., 19,00 €, ISBN : 978-2-931008-32-4

Maurice Martin la véritable affaire de bruxellesL’auteur, Maurice Martin, s’ébroue dans des eaux familières en tant qu’ancien commissaire de police retraité de la brigade anticorruption, même grade, même service que ceux de Martin de Landsheer, personnage central de cette « affaire de Bruxelles » dont les prolégomènes nous ramènent au 19e siècle, à deux poètes dits « maudits » et à un fait-divers fameux qui vit (ou crut voir ?) Paul jouer du revolver contre son ami Arthur.

Tout commence 140 ans plus tard sur le marché aux puces de la Place du Jeu de balle où le commissaire de Landsheer, cédant à son hobby dominical de chineur et revendeur (au noir évidemment), fait l’acquisition d’un vieux meuble qu’il confie à la brocanteuse Gladys, son amie et ancienne amante, spécialisée, elle, dans l’art de les faire parler. Au cours de cet « interrogatoire », elle découvre, dissimulée derrière un tiroir, une canne étrange, à section carrée et dont les quatre faces marquetées sont couvertes de signes mystérieux. Les recherches du couple l’amènent à retrouver le mandataire de la vente, un expert en œuvres d’art prénommé Baudouin et pour le moins original. Mystique épris de méditation, féru de sagesse indienne, adepte du nudisme transcendantal, généalogiste, polyglotte, couteau suisse des décryptages en tout genre, etc., ce diable d’homme se déclare intéressé par l’objet insolite et prêt à seconder Martin et Gladys dans leur recherche.

Bon départ pour un polar qui vogue avec maîtrise et savoir, avec humour aussi dans le sillage des ésotérismes et autres complotismes qui font flores dans la littérature populaire d’aujourd’hui. Avec le taux convenable de violences et d’outrances admises et même requises par le genre. Alors que certains éléments semblent relier obscurément la canne à l’agression présumée de Verlaine contre Rimbaud, il se révèle que ce soir-là dans le même établissement de Bruxelles, c’est en réalité un haut dignitaire ecclésiastique qui fut exécuté par balle. C’est le début d’une cascade d’aventures époustouflantes nourries par des sbires de tout poil et semées de nombreux cadavres dont ceux d’un brocanteur, d’un ancien procureur général, d’hommes d’Église, et on en passe. L’équipée des enquêteurs improvisés, mais conduits très officiellement par le commissaire de Landsheer, les trimballe entre Bruxelles, Paris et Rome, toujours encouragés, manipulés ou menacés par de mystérieux intervenants parmi lesquels on retrouve entre autres et non sans surprise, Joseph Aloysius Ratzinger, alias le pape émérite Benoît XVI. Guidés par les signes gravés sur la canne et apparemment liés à la personnalité de Rimbaud, leur parcours souvent périlleux passe aussi bien par les sous-sols interdits du pharaonique palais de justice de Bruxelles que par ceux de la parisienne Place de la Concorde. Tout se conclut par la découverte des enjeux et des personnes en cause comme d’un trésor propre à attiser toutes les convoitises et que l’on croyait définitivement perdu. Au passage le commissaire Martin de Landsheer n’aura pas négligé d’exploiter avec humour sinon avec malice l’expérience de l’auteur Martin pour mettre en lumière les rivalités et les jalousies qui peuvent sévir entre les différents corps de police comme les frustrations cuisantes en matière d’avancement…  

Dans une postface intitulée « Un piteux vaudeville » et marquée par l’autorité et l’érudition de son auteur, Jean-Baptiste Baronian – spécialiste de la littérature fantastique comme de l’odyssée bruxelloise de Rimbaud (voir son livre L’enfer d’une saison) – rétablit la vérité sur la soirée dramatique au cours de laquelle Rimbaud fut blessé par son ami. Et comme on sait, la vérité a tous les droits. Éventuellement jusqu’à l’abus de pouvoir face à un imaginaire plus amplement créatif… Ainsi, sans comparaison abusive, je me souviens pour ma part d’un collégien de naguère qui n’aurait jamais admis et n’admettra jamais, fût-il contredit par tous les géologues du monde, que la célèbre aiguille calcaire d’Étretat n’est pas creuse. Et qui épluchait compulsivement son De Bello Gallico à la recherche – vaine mais non désespérée –   de la citation julienne censée lui donner raison.

Ghislain Cotton