Pierre SOMVILLE, Journal de la peste, Taillis pré, 2020, 74 p., 12 €, ISBN : 978-2-87450-167-8
C’est le mystère du mal (…) pour une fois les « politiques », dos au mur, osent enfin agir et faire leur devoir.
Journal de la peste, initié mi-mars 2020, est celui de la COVID-19 entrant sans fracas dans l’intimité de Pierre Somville, confiné entre son jardin et les informations des médias.
C’est un peu dur et risque de durer. Même la plume à la main, – ce qui est toujours mon cas –, il faut aussi renoncer au bavardage.
L’épreuve semble assez sérieuse pour pousser dans les retranchements où se cachent les peurs survitales. C’est l’heure où la philosophie vient au secours de la pensée, bousculée voire torturée par la réalité, ce vaste supraliminaire brisant brutalement l’illusion de maîtriser nos vies.
Il s’agit d’être stoïcien comme le rappelle ma compagne, (…) mais non sans « fourrer » ce stoïcisme des quelques bons moments épicuriens qui peuvent subsister, dans la frugalité surtout. Car c’est bien là ce que préconisait le Maître. Être heureux de peu, et si possible, en tirer plaisir. C’est une bonne psychologie de survie par les temps qui courent.
Soit le conseil d’une éthique du quotidien antique, classique et universelle. Une pratique de tous les jours dont l’évidence frappe plus fort lors des crises. Une esthétique du simple et vivant qui libère de l’éphémère et du sexy. On aurait envie de s’en féliciter car la possibilité d’un autre monde, nouveau, renaît à son tour. Cependant,
Malgré le bleu du ciel, c’est comme s’il faisait gros temps. Sombre printemps.
Se réjouir ou désespérer, notre société est tellement prospère que « Devant la vacuité qui nous est imposée certains courent, d’autres font du vélo, du jardinage ou de la cuisine. Moi, j’écris : à chacun sa thérapie. (…) On ne peut, pour le moment, s’adonner au luxe de l’abattement mélancolique. Dont acte. » Une vie comme celle de l’auteur, entre arts et littérature, manifestement, prépare aux aléas du monde extérieur.
Nous payons aussi notre consumérisme irresponsable et imbécile : les voyages, la bouffe et les beuveries. Tout ce dont nous sommes privés maintenant. Ça nous servira de leçon.
Peut-être. Le nombre de victimes futures ainsi que l’expérience personnelle du lecteur, affineront les curseurs qui mènent aux commentaires alimentant l’assourdissante incertitude médicale et médiatique. Cependant, les pestes d’antan n’ont pas empêché de subir celle-ci et les liens de causalité entre la maladie et nos sociétés ne sont pas évidents. Un virus se fout de la politique.
De sorte que Journal de la peste, écrit à chaud d’un ton froid, offre un discours tiède, à la température de nos vies molles, prises dans l’expectative, où un espoir théorique flirte avec le dépressionisme.
En attendant, contrepoint à quelques élans de solidarité, une minorité crapuleuse risque de surgir, espérant tirer bénéfice du malheur d’autrui. Forçons un peu le trait ; ainsi nous n’aurons peut-être que de bonnes surprises. Et parlons d’autres choses.
Pierre Somville, optimiste par raison douce, se tourne alors vers la musique et la nature. Deux branches du cœur qui l’alimentent d’air frais et de saine énergie.
Le nid des pies, sur la plus haute branche du chêne, est magnifique. Il se balance doucement dans l’azur. Il reste donc encore un peu d’ordre dans le monde. (…) Par bonheur, Musique 3 (et ses bavards) est toujours là, capable de nous donner, malgré le différé l’illusion bien réussie d’un rapport au monde extérieur.
Les arts et la littérature sont un tel dialogue intérieur, mental et profond, qu’un corps confiné, finalement, ne souffre pas ou peu. Tel est le sentiment qui s’extrait aussi de ce Journal de la peste : écrire libère du corps, de la matérialité, de la tangibilité. En période de crise, à moins que l’empathie ne s’en mêle, c’est un confort de plus.
Tito Dupret