Du côté de saint Jordi

COLLECTIF, Du côté des librairies, Murmure des soirs, 2020, 188 p., 13 €, ISBN : 978-2-930657-62-2

du côté des librairies murmure des soirsDans Éloge de l’amitié, Tahar Ben Jelloun écrivait : « Le libraire est l’ami du livre ; pas de tous les livres, mais de ceux qu’il considère assez pour les transmettre aux lecteurs. » La librairie se révèle en effet ce lieu singulier de passage, de partage, de mise en lumière, mais également de sélection, de choix, de défense. En parcourant étagères et présentoirs, le lecteur concentré devine l’orientation idéologique, l’impératif de qualité et parfois l’intérêt particulier du personnel qui la peuple. Car, oui, une librairie est peuplée de livres qui battent, chacun à sa pulsation, chacun à son tempo, et appellent leur lecteur prédestiné. C’est du moins la conviction d’une étrange libraire, aux envoûtements bohémiens et à la boutique évanescente, lorsqu’elle affirme : « Promenez-vous librement dans mon magasin, vous y trouverez peut-être ce que vous cherchez. Regardez tout autour de vous, prenez-les en mains, feuilletez-les, jusqu’à ce que vous tombiez sur celui qui vous dira : “Prends-moi, je t’attendais.” Car – savez-vous cela ? – ce sont les livres qui nous choisissent. Ils nous attendent patiemment, sur une étagère, et puis quand nous passons à leur portée, ils nous appellent, et là… c’est inutile de vouloir résister. »

Les livres sont vecteurs d’émotions, de contradictions, d’horizons, mais aussi de déclarations (« un pauvre petit bouquin » menacé du pilon s’avèrera un charmant support à l’amour d’une dame au peignoir parme) ou même de punitions (ne sous-estimez au grand jamais les ouvrages dont vous avez titillé la susceptibilité…). Ils décontenancent aussi, comme dans la « Réouverture » où des citoyens de Nouvelle-Bruxe ont été gagnés par le monde technologico-virtuel, au point qu’il soit nécessaire de leur préciser quelques concepts tombés en désuétude : « Books, comme livres. Dans le temps, on parlait de livres électroniques. C’est ce que signifie le terme e-book. Mais ici, on ne vend plus rien d’électronique, plus rien de e–, si vous préférez ; on ne vend que des livres. Des vrais books, avec des pages et une couverture en papier. » En autres magies, ils possèdent en outre le pouvoir d’enivrer ou déranger par leur odeur, à l’instar des librairies et des bouquineries qui recèlent aussi leur identité olfactive ; n’est-ce pas le propre des « entités habitées » ?

Du côté des librairies accueille en ses pages treize auteurs tous publiés chez Murmure des soirs. Sous les plumes successives de Jean-Pierre L. Collignon, Jean-Marc Defays, Paul De Ré, Pierre Hoffelinck, Michel Lauwers, Dominique Maes, Alexandre Millon, Marc Pirlet, Jean-Marc Rigaux, Martine Rouhart, Erik Sven, François Tefnin et Michel Van den Bogaerde, des univers réflexifs, nostalgiques, futuristes et fictionnels se dessinent autour d’un thème – voire d’une cause, en regard à la concurrence virtuelle, aux lois du marché et à l’évolution des pratiques – commun : cet espace de rencontres improbables, de passions divergentes, de solitudes entrechoquées, de sensibilités en pagaille, d’« affinités électives » que sont et doivent rester nos libraires… Là où, au « Rimbaud », dans la ruelle des Pinsons, chez François ou ailleurs, « [p]ressées les unes contre les autres, en doubles et bientôt triples rangées, les âmes des écrivains attendent qu’un lecteur s’intéresse à leur sort et lève le voile sur leur vie, sinon intime, du moins imaginaire »…

Samia Hammami