Un coup de cœur du Carnet
Alia CARDYN, Mademoiselle Papillon, Robert Laffont, 2020, 267 p., 18 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2221249352
Gabrielle est une infirmière de 30 ans qui travaille au service de néonatalogie intensive d’un hôpital. Son quotidien est rythmé par les actes techniques et le fonctionnement des machines qui ont pris le dessus sur l’humain pour décider du sort des bébés. Composant chaque jour avec la limite entre la vie et la mort, elle fait de son mieux dans cet univers où l’incertitude domine, où le temps est une obsession, où rien n’est acquis, où chaque victoire, si infime soit-elle, est le résultat d’une lutte de chaque instant.
Malgré son jeune âge, Gabrielle est vidée par la brutalité de son travail, elle ne supporte plus son impuissance face à la souffrance de ses petits patients et de leurs parents qui parcourent son service, le regard hagard. Son métier étant très impliquant, elle est également traversée par un questionnement permanent : dans telle situation, doit-elle sourire, dire la vérité, se taire, donner un autre antibiotique au patient pour accélérer sa guérison ? Un détail lui a-t-il échappé pour sauver un bébé dont le cœur s’est arrêté, faisant basculer les parents dans un chagrin abismal, intolérable ? Les émotions n’ayant pas leur place dans son service aseptisé, Gabrielle est sur le point de se briser, car elle n’est pas une machine, mais un être humain avant tout, touchée par certains cas plus que par d’autres.
La salle 79 est celle où je me rends chaque jour. L’endroit où je me traîne chaque jour, devrais-je plutôt dire. Au début, c’était différent. Je me levais, pleine d’entrain, je me rendais à mon travail, gonflée à bloc par toutes mes certitudes. Puis quelque chose s’est rompu, brisant du même coup mon élan. Je suis devenue tout ce que je redoutais. La professionnelle qui n’est plus rien d’autre, celle qui réalise, jour après jour, la même liste de tâches reproduites à l’infini. Sans m’en apercevoir, je me suis réduite à ma fonction et tout le reste s’est volatilisé. […] Au fil des années, mon enthousiasme s’est dilué dans ces regards vides, dans ces souffrances qui vicient l’air, dans ces vies, plus rares, qui ne tiennent pas. […] Je continue à me lever, à m’habiller, à me rendre à la salle 79. Mes mains manipulent encore et encore ces êtres nés trop tôt mais plus rien n’est pareil. La peine s’est amassée en moi, et sans issue, elle s’est installée là. J’ai peur de regarder les autres dans les yeux, les bébés, les parents. J’ai peur que cette peine en excès déborde, telle une rivière qui sort de son lit. Je ne peux pas pleurer parce que, ici, il n’y a aucun bébé à moi. Aucun destin dont le temps serait la seule réponse.
C’est dans cet état d’esprit que Gabrielle voit sa mère, une romancière qui lui met dans les mains sans explication son dernier manuscrit. Elle découvre alors la vie de Thérèse Papillon, une infirmière qui a réellement existé et qui a créé un préventorium pour les enfants au sortir de la Première guerre mondiale. Gabrielle est happée par le destin de cette femme hors du commun qui s’est battue toute sa vie pour faire vivre l’abbaye de Valloires où elle a accueilli des milliers d’enfants malnutris et mal soignés, des proies idéales pour la tuberculose, le mal de l’époque.
Troublée par la force, l’énergie et la conviction de Thérèse Papillon, même face au manque de moyens financiers, aux problèmes d’eau, d’électricité, de chauffage du centre, Gabrielle sent une petite étincelle se rallumer en elle. Elle observe alors d’un regard neuf les détails de la salle 79, qu’elle croyait connaître par cœur, et voit les besoins de ses bébés sous un autre jour… Ses certitudes se sont émoussées, mais tant que la vie est là, il y a toujours de l’espoir, il y a toujours quelque chose à faire.
Mademoiselle Papillon est un très beau roman pour lequel Alia Cardyn a réalisé un gros travail de recherche pour coller à la réalité. Elle précise bien que c’est une œuvre de fiction, mais le résultat n’en est pas moins réaliste. À travers un style ciselé, l’autrice explore la question du lien dans de nombreuses déclinaisons possibles. La question du sens est également très présente, sans réponse convenue, avec justesse, ouverture et délicatesse. Elle navigue habilement dans la réalité complexe que vivent Gabrielle et Thérèse Papillon. Alia Cardyn nous rappelle aussi à travers son récit le pouvoir de l’amour qui porte les rêves à destination.
On oublie que lorsque l’on prend soin d’un autre être humain, on prend soin de ceux qui croiseront sa route. L’amour suscite l’amour. Cela nous donne un pouvoir personnel infini.
Mademoiselle Papillon est un roman inspirant !
Séverine Radoux