Vincent RAHIR, La beauté sûre de nos vies, Academia, coll. « Littératures », 2020, 224 p., 20 € / ePub : 14.99 €, ISBN : 978-2806105394
Littératures une collection de fictions belges apparue en 2013 au sein des Éditions Academia. Fondée en 1987, cette maison d’édition a tout d’abord développé des collections de sciences humaines universitaires. Avec Littératures notamment, la maison accueille désormais récits, romans, nouvelles d’autrices et auteurs francophones de Belgique. « L’objectif est de donner vie à des textes d’auteurs débutants ou confirmés, des textes variés et de qualité », nous explique Sidonie Maissin, responsable des relations publiques et commerciales pour les éditions Academia.
Cette collection compte à ce jour un catalogue de 77 titres, dont La beauté sûre de nos vies paru le 15 septembre dernier et premier roman publié de Vincent Rahir, romaniste et liégeois.
Le roman
Dans La beauté sûre de nos vies, tout commence par un coup de fil. Un appel. De ceux qui font basculer l’existence. Celle d’Antoine qui vient d’apprendre la mort accidentelle de Christine, la jeune femme avec qui il sort depuis moins d’un an.
Dans cette histoire, tout commence aussi dans cette maison de village, celle de Franck et Fabienne, les beaux-parents qu’Antoine n’a jamais rencontré, où il se rend pour un ultime hommage à celle à qui il n’est pas sûr d’avoir dit « je t’aime ».
En débarquant là, Antoine ignore tout de l’histoire dans laquelle il met les pieds. Une histoire qui le dépasse.
Une enquête.
Car pour aller de l’avant, comme lui conseille sa cousine Marie, sa confidente, son adjuvante, Antoine a besoin de comprendre.
Qui sont ces gens ?
Franck, qui noie son chagrin dans l’alcool.
Fabienne, pour qui Antoine ressent une troublante attraction sexuelle.
Il veut savoir ce qui s’est réellement passé dans la cage d’escalier de ce pavillon résidentiel, dont Fabienne lui dit d’emblée « j’espère que tu n’as pas regardé le mur en face de la dernière marche encore marqué du sang que je n’ai pas réussi à laver » ?
Quelle violence sourd en ces murs ?
Et qui est Nora, ombre surgie du jardin de Franck et Fabienne ?
Nora, dont personne ne semble savoir qui elle est.
Nora qui ressemble pourtant si fort à Christine.
Antoine cherche. Essaie de rattraper le bonheur. Pas sûr qu’il y arrive. Christine le hante, cette femme solaire, aux cheveux noirs, aux seins lourds. Christine qui disait : « la vie, c’est comme les bonbons Napoléon ». Christine qui voulait en capter le côté acidulé, qui cherchait le sucre derrière l’amertume, la douceur derrière les éclats, comme du verre, du bonbon sur la langue. Christine qui apprenait à Antoine à goûter à la beauté aigre de la vie.
Antoine (se) cherche dans ce récit qui fonctionne en strates. Envers et contre tout. Quitte à s’engluer dans son deuil, même si Marie le met en garde, cette fois, qui l’exhorte à arrêter. Il est jeune. Il rencontrera quelqu’un d’autre. Qu’il arrête de remuer le couteau dans la plaie. Mais non. Antoine s’accroche. Il veut savoir. Comme si derrière le décès de Christine, il y avait autre chose à régler.
« Un proverbe indien dit que nous avons en nous deux loups. Celui de la haine et de la douleur, et celui de l’amour et du bonheur. Ils se combattent en permanence. Celui qui gagne est celui que l’on nourrit. » C’est à se demander quel loup Antoine nourrit quand il évoque son père, mort d’un cancer du foie alors qu’il n’avait que seize ans, quand il repense à Saskja sa « petite sœur Dieu sait où à présent » dont il n’a plus de nouvelles depuis qu’il l’a retrouvée, veines ouvertes, dans la baignoire, chez sa mère et qu’elle lui a dit « je ne veux plus jamais te revoir ». Qu’essaie-t-il de comprendre, Antoine ? La mort de Christine ou sa propre histoire ? Les deux en résonance ? Car dans ce récit, la violence est partout et Antoine – grain de sable qui fait dérailler la mécanique – en est le révélateur (à moins que ce ne soit sa cousine, photographe, et le traitement qu’elle réserve aux images retrouvées dans des caisses de Fabienne ?).
Au fur et à mesure de son deuil/enquête, Antoine donnera à voir le genre de force qui agit ce qui est tu. Comme Hamlet, son fantôme, sa mise en scène.
La beauté sûre de nos vies, c’est une histoire d’étreintes et de relents du passé, une histoire de relations et de ressemblances entre scénarios. C’est l’histoire des histoires dans lesquelles on se lance parce qu’on en reconnait la partition. C’est une histoire d’héritage, aussi, de répétitions et de reproductions. La beauté sûre de nos vies, c’est une histoire de culpabilité.
Amélie Dewez