Au doux vent de la liberté

Michel CLAISE, Les années d’or (Salle des pas perdus III), Genèse, 2020, 256 p., 21 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 9791094689707

claise les annees d orTroisième est donc ce nouveau tome de la fresque entamée avec La salle des pas perdus, roman paru en 2006, suivi par Les années paix (2010). Avec Les années d’or, qui courent de 1960 à 1970, c’est une  période plus proche qui défile, celle que Michel Claise a connue lui-même enfant et adolescent. Son ambition demeure identique : faire œuvre de mémoire tout en suivant le destin d’une poignée de personnages pleinement inscrits dans les enjeux de leur temps, à la pointe des débats d’idées, des mouvements qui traversent la société.

Nous y retrouvons plusieurs couples présents dans les deux premiers tomes. Ils sont désormais de la tranche d’âge des hommes et des femmes qui occupent les postes à responsabilités, ils voient s’épanouir leurs projets. Dans cette période de plein emploi, d’essor économique, et d’amélioration du niveau de vie qu’ils permettent, ils vivent la décolonisation du Congo, mais surtout, ils prennent de face le grand vent de liberté qui souffle et bouscule les traditions. Les bouleversements touchent au rôle et aux droits de la femme, au patriarcat, aux relations sexuelles. D’autres figures apparaissent : celle de Kurt, membre du VMO, groupe d’extrême droite flamand. Mais aussi celles d’Adil et Mounir, deux jeunes Marocains qui répondent aux appels à la main d’œuvre lancés par la Belgique et qui vont vivre leur entrée dans la grisaille bruxelloise. Les malversations immobilières qui défigurent la capitale avec la complicité des responsables locaux, pratiques mafieuses à l’appui, apportent une pointe de tension dans la narration. L’auteur sait aussi tirer les ficelles du récit pour nous faire vivre au plus près des événements marquants de la décennie tels que l’intervention militaire belge au Katanga, mai 68 à Paris, l’incendie de l’Innovation, la victoire d’Eddy Merckx au Tour de France, les premiers pas sur la lune ou encore l’arrive de la télévision dans les ménages, le déferlement du rock and roll. Les conversations du Vieux Schaarbeek rythment régulièrement le récit, faisant de ce bistro un des liens intangibles entre le passé et le présent. Un autre axe fort est celui de la découverte de la franc-maçonnerie par David, dont le cabinet d’avocat est en plein développement. L’initiation qu’il y reçoit donne l’occasion à l’auteur de nous ouvrir les portes d’un univers méconnu du grand public et qui lui est cher.

On l’aura compris, l’œuvre entreprise avec La salle des pas perdus se poursuit dans la droite ligne des deux tomes précédents. Attaché à un groupe de personnages au travers desquels les faits marquants d’une période sont abordés de façon à la fois collective et intime, Michel Claise nous livre une vision personnelle et éclairée de notre histoire commune. Son propos est soucieux de rendre les faits en allant à l’essentiel, il est nourri d’une forme de gai savoir qui en rend la lecture agréable, les personnages bien construits nous accompagnant dans ce périple qui est aussi une recherche d’identité. Sa propre vision des choses, celle d’un homme généreux guidé par la recherche de la vérité et de la justice, colore  évidemment son propos au fil des 1087 pages que compte désormais cette fresque ambitieuse, ce qui nous permet de mesurer aussi le souffle littéraire qui porte une telle initiative. Et ce n’est pas fini, puisque l’auteur clôt Les années d’or par une courte phrase nominale qui nous annonce « Début des années de plomb ». La suite donc nous est promise, et l’on ne peut que s’en réjouir.

Thierry Detienne