OSKO, L’incapacité à dire Gérard, ONLiT, coll. « ONLiT Mini », 2020, 64 p., 8 €, ISBN : 978-2-87560-124-7
L’incapacité à dire Gérard est le premier livre d’Osko.
D’Osko, on sait qu’elle a 28 ans, vit à Bruxelles, a étudié la peinture et la vidéographie. On sait aussi qu’en 2019, elle s’essaie à l’écriture.
De Gérard, en revanche, on n’en sait pas beaucoup plus que cette incapacité qu’a la narratrice à le dire.
Une incapacité qui se traduit dans ce que l’on pourrait qualifier de prose soudain débridée, soit une organisation narrative tout de suite chahutée, pour malgré tout transmettre un message émotionnel.
De cette manière, on fréquente dans ce livre des moments d’histoire :
(…) il y a une fois Gérard, dans son imperméable beige, qui traverse le supermarché, pour des petits beurres et de la crème entière.
tout de suite torpillés par un « dire » explosé :
la pensée se hasarde
dans leur chair
où veillent tempêtes,
joue de frémir pour le prétexte
au corps d’une pudeur distraite,
l’épaule vierge dans le rêve qu’il appelle,
dans les eaux de l’effleurement
où baignent ces fleurs sauvages
qu’on désire pêcher.
Ainsi, Osko nous promène dans des phrases où le langage se perd :
Attendre
tendre
qu
qu
qu’il
revienne.
Des phrases où s’ébauche autre chose. Où les espacements mêmes de la mise en page, ces vides, font partie intégrante du propos.
Car c’est bien à un langage fissuré que l’on a affaire ici. Un langage d’où jaillissent des refrains (« ritournelles ») en autant de récurrences (la tarte au sucre, le bleu, le rouge, le pigeon couché sur l’herbe verte, un cheval qui recule devant le ciel) pour tenter de dire l’absence de l’autre, tantôt « tu », tantôt « il ».
Cette absence qui confronte la narratrice à l’incapacité, même si elle ne renonce pas à essayer de donner du sens à ce qui se vit (absence, attente, mort ?). Où elle donne à voir ce que l’autre fait en moi. Cette part de Gérard racontée malgré lui, malgré elle. Gérard, raconté, en creux.
Gérard, c’est par vos yeux que je vois,
quand je vous regarde, je vois l’œil du cheval,
et par cet œil je me vois.
Peut-être est-ce là le langage de la perte qui révèle ? Car Osko nous emmène dans une langue-brèche où s’affirme un « je ». Peut-être faut-il en passer par un langage fêlé pour, à l’instar de ces linguistes-cliniques qui comprennent le langage en l’observant précisément là où il dysfonctionne, enfin deviner ce qui surgit des endroits qui déraillent ?
Te savoir briserait-il,
je ne renonce à ne pas dire,
Gérard.
Dans L’incapacité à dire Gérard, Osko explore quelque chose comme une prose poétique clinique, une forme à elle qui révèle, au final, que « dans ce qui ne se tient pas, tu es ».
Mais peut-être Gérard le savait-il, lui, que cette incapacité à dire raconte quand même ?
Amélie Dewez