Yuval Noah HARARI, David VANDERMEULEN, Daniel CASANAVE, Claire CHAMPION (mise en couleurs), Sapiens. La naissance de l’humanité, Tome 1, Albin Michel, 2020, 248 p., 23,95 €, ISBN : 9782226448453
En collaboration avec Yuval Noah Harari, l’auteur du best-seller Sapiens, David Vandermeulen (scénario) et Daniel Casanave (dessin) se sont lancés dans l’adaptation en quatre volumes d’un ouvrage qui interroge l’évolution de l’Homo sapiens des origines à nos jours. C’est avec une folle inventivité, de belles trouvailles narratives, un piment d’humour, de jeux de référence que David Vandermeulen, auteur entre autres des quatre volumes graphiques Fritz Harber, d’Agrum Comix, de La passion des anabaptistes et son complice Daniel Casanave (Shelley, Chamisso, Nerval, Hubert Reeves nous explique… avec David Vandermeulen, Ubu Roi, Baudelaire, Petit Pierre, la mécanique des rêves…) ont, non pas adapté mais recréé avec Harari la saga de l’histoire de Sapiens.
Pourquoi, comment, dans quelles conditions l’Homo (genre) sapiens (espèce) a-t-il éliminé les autres espèces humaines qui peuplaient la Terre (Homo erectus, Homo neanderthalensis, Homo denisovensis, Homo floresiensis, Homo luzonensis) ? Comment cette espèce appartenant aux primates originaires d’Afrique a-t-elle essaimé sur l’ensemble des continents jusqu’à régner seule, les autres espèces humaines s’étant éteintes ? Qu’est-ce qui l’a progressivement différenciée des autres espèces ? Le langage, l’outil ou plutôt ce que Yuval Noah Harari, historien de l’Université hébraïque de Jérusalem appelle « révolution cognitive », à savoir l’aptitude à coopérer en grand nombre, une hypothèse qu’il assène jusqu’à plus soif ?
Sans jamais verser dans un récit scolaire, David Vandermeulen et Daniel Casanave émaillent l’aventure paléoanthropologique de Sapiens de références artistiques, scientifiques qui produisent un heureux effet de décalage. Sur près de 250 pages graphiquement très fortes, on assiste à l’aventure il y a 70.000 ans de l’Homo sapiens qui, quittant le berceau africain, conquiert le monde. Une conquête qui se solde par la disparition des autres espèces humaines, dans un mixte de hasard et de nécessité ?, par l’extinction de la mégafaune et de la faune plus petite dans chaque continent sur lequel il met le pied. Chaque arrivée de Sapiens sur une terre se solde par un même constat : la catastrophe environnementale qui s’ensuit, déforestation massive, destruction des espèces animales et végétales. Là où Sapiens passe, le désert croît. Ce premier tome met en scène la révolution agricole, la domestication des animaux et des plantes, la découverte du feu, la naissance de l’écriture, des premiers Empires, de la monnaie, des religions, des cultes et croyances, de la science, convergeant vers le constat : le Sapiens, à savoir nous, s’est déclaré pendant des millénaires « maître et possesseur de la nature », il a colonisé l’ensemble du globe en détruisant les formes du vivant sur son passage. Sa « révolution cognitive », sa capacité à créer des croyances, des fictions collectives (religions, argent, institutions…) a accouché du pire prédateur de l’univers.
Si la version graphique de Sapiens relève d’un tour de force, on se penchera sur les thèses, les vulgarisations colportées par Harari. On passera derrière la machine éditoriale, la best-sellerisation qui touche Homo sapiens, mais aussi Homo deus. Une brève histoire du futur, leurs traductions en des myriades de langues, les campagnes de promotion, la start up qui soutient l’entreprise, pour questionner les positions affichées par l’auteur. Si on partage sa dénonciation de l’effondrement écologique, d’une mise en place d’un « data-colonialisme » accéléré à la faveur de la pandémie, des dangers de l’intelligence artificielle, son rôle de lanceur d’alerte, on s’étonnera de le voir professer une croyance dans le « logiciel biologique », comme si notre ADN portait la responsabilité de notre devenir « serial killers écologiques », nous dédouanant de toute responsabilité. On a l’impression qu’en prince de l’apocalypse, rompu au nihilisme, il regarde courir l’humanité à sa perte après avoir occis les autres formes du vivant (à moins, dit-il, qu’un ultime sursaut de vie ne se produise rapidement. La position méditative, de repli intérieur (« changer soi-même plutôt que la fortune ») qu’il adopte le pousse à délaisser le domaine des mobilisations activistes, des actions collectives à mener en vue d’un changement de paradigme.
Véronique Bergen