Racines transcontinentales

Joseph NDWANIYE, En quête de nos ancêtres, Impressions nouvelles, 2021, 18 € / ePub : 8.99 €, 208 p., ISBN : 978-2-87449-846-6

ndwaniye en quete de nos ancetresAvec La promesse faite à ma sœur, Joseph Ndwaniye avait bâti un récit sur le voyage d’un exilé rwandais à la recherche de sa famille après le génocide. Comme l’annonce En quête de nos ancêtres, l’on peut s’attendre avec ce nouveau titre à une démarche du même ordre. Mais il faut admettre, dès les premières pages tournées, que l’ambition de ce nouveau roman est bien plus large.

Antoine est lui aussi d’origine rwandaise, il vit en Belgique, et il a décidé de se rendre en Bolivie, pays où se passe l’essentiel du récit. La raison de ce voyage est cependant porteuse d’une démarche du même ordre : il veut se rendre à Potosi, une ville située à plus de 4000 mètres d’altitude où l’on exploite des mines d’argent depuis le 17e siècle. Base de tous les échanges internationaux de l’époque, le métal précieux qu’on en extrait à profusion a fait jadis la richesse de la cour espagnole. Toujours en activité aujourd’hui, cette industrie a donné lieu au travail forcé des populations indienne mais aussi africaine, dès le 18e siècle, et déplacés par les trafics d’esclaves, des milliers de travailleurs y ont perdu la vie. Ce sont ces ancêtres anonymes, dont la descendance peuple et colore la région aujourd’hui encore, qu’Antoine veut rencontrer car il s’intéresse au sort de ces frères de sang depuis longtemps.


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Infirmier dans un hôpital belge, il a pris un congé et a offert ses services dans une institution bolivienne, à Tarija, où il est accueilli. Dès son arrivée, il retrouve des odeurs et des façons de vivre qui lui rappellent son Afrique natale. Et il est séduit par une population enthousiaste nullement perturbée par la présence d’un homme à la peau noire. Circulant dans la ville, il a le regard aimanté par la beauté d’une jeune femme qui vend du jus d’oranges pressées. Alba Luz répond avec réserve  à ses avances, mais une complicité s’établit progressivement entre eux, qui l’accompagnera tout au long de son séjour. C’est avec elle qu’il se rendra à Potosi, qu’il rencontrera ceux qu’il est venu voir. Et c’est avec lui qu’elle fera du même coup le chemin de la rencontre de ses propres racines, qu’elle retournera dans le village de son enfance. Leurs sorts sont désormais liés, d’autant que la jeune femme retrouve sa grand-mère qui voit un fils dans la personne d’Antoine. Cependant, ce dernier doit rejoindre la Belgique car son congé prend fin. Il promet de revenir pour s’installer auprès d’Alba Luz. Mais les lettres envoyées régulièrement de Belgique restent sans réponse. Il décide néanmoins d’accomplir sa promesse de retour et, ne trouvant plus trace de la belle, part à sa recherche, d’abord dans les villes qu’ils ont parcourues, puis dans la campagne et la forêt …

Solidement documenté sans se montrer savant, le récit fait montre des qualités qui ont fait le succès de La promesse faite à ma sœur. Déplacé sur un autre continent tout en restant lié à l’Afrique, ce nouveau roman aborde avec la même finesse le sort de populations oubliées de l’Histoire. Portée par une belle idylle, la quête d’Antoine est avant tout initiatique à plus d’un titre. Elle associe la modernité et les cultures anciennes, avec une attention aux savoirs traditionnels, aux puissantes racines familiales. Sa démarche souligne la pesanteur paralysante des secrets familiaux, mais aussi des non-dits qui jalonnent l’histoire des peuples, celles des dominations anciennes, de l’exploitation humaine sauvage, des civilisations brimées, et des interactions entre tous ces flux dans le destin des personnes. Le tout sur fond de relations humaines lumineuses, guidées par une forme de candeur lucide qui fait mouche et que sert une écriture limpide. L’on ne pouvait déjà que saluer l’art avec lequel Joseph Ndwaniye conjuguait toutes ces choses avec talent et, dans cette fable transcontinentale, il donne à son œuvre une portée davantage magique et universelle, pour notre plus grand plaisir. 

Thierry Detienne