Quelque chose comme une définition aveuglante du mot destin

Alain BOSQUET de THORAN, Le musée, Névrosée, coll. « Les sous-exposés », 2020, 162 p., 14 euros, ISBN : 978-2-931048-30-6

bosquet de thoran le museeLa première édition du Musée remonte à 1976. À l’époque, le texte parait aux éditions Jacques Antoine. Les éditions Névrosée décident de le rééditer aujourd’hui dans la collection « Les sous-exposés ». Quand on connait l’ambition de cette collection de (re)donner à lire des auteurs « tombés dans le purgatoire, dont la visibilité est vacillante », on est heureux d’y voir figurer le récit d’Alain Bosquet de Thoran (1933-2012) et d’ainsi avoir les moyens de le (re)découvrir.

Auteur belge de poèmes, récits, nouvelles, romans, essais, Alain Bosquet de Thoran est lauréat en 1994 du prix Victor-Rossel pour La Petite Place à côté du théâtre. Il siégeait aussi au fauteuil n°17 de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (succédant à Paul Willems ; Caroline Lamarche y siège désormais depuis 2014).

Il nous livre, avec Le musée, un récit mystérieux.

Tout commence par une soirée de confidences. Le narrateur raconte un rêve qui lui laisse comme un souvenir et sert de déclencheur à Léa qui se met à relater sa visite du château-Musée de Lucera[1].

La quasi-totalité du récit se concentre sur cette relation, pourtant enchâssée dans ce qui se raconte et se vit, ce soir-là, entre Léa et le narrateur. On pourrait penser que ce choix de « récit dans le récit » est un détail formel. Il n’en est rien. Les allers-retours entre le souvenir et la soirée sont nombreux. Surtout, ils font hésiter quant au statut des événements vécus dans le musée. Ont-ils eu lieu ou sont-ils le fruit de l’imagination de Léa ? Tout, dans cette histoire, est marqué par le sceau du flottement. Tout cela relève-t-il du rêve, de l’illusion ou d’une réalité (fût-elle passée) évoquée ?

Et ce musée ? Qu’en est-il ? Cet « ouvrage au curieux plan heptagonal, du XIIIème au XVIIIème siècle », comme le décrit le guide touristique ramené par Mr. Léon, un des protagonistes de cette drôle d’excursion, qui s’obstine à vouloir voir les « instruments d’astronomie, de chronométrie, d’optique » promis dans la notice. Cette visite, dont le guide, Antoine, n’est autre qu’un enfant tout encore occupé de jouer dans un ruisselet avec son bateau quand les touristes débarquent.

François et Carl, les étudiants ; Grete et Margarete, les sœurs ; Lucienne et Charles, le couple de jeunes mariés ; Mr et Mme Léon, respectivement assureur et cordon-bleu ; le professeur ; Léa, constituent cette « communauté de hasard », amenée à déambuler de salles en chambres jusqu’à la chambre des nourritures où se préparera un banquet au terme duquel Antoine sera amené à disparaitre. Désormais bloqués sans leur guide, la cohorte est contrainte de revoir les mêmes lieux, refaisant inlassablement le même parcours.

S’agit-il d’une visite ou d’une errance ? Et ce musée, ne serait-il musée intérieur ?

miroir multiple qui nous réverbère sans cesse à nous-mêmes, et ses énigmes successives ne posent-elles finalement qu’une question unique, tournant comme un labyrinthe autour de l’homme sans cesse remis face à face avec lui-même ? 

Quoi qu’il en soit, il est question d’une « épreuve du voir ». « Le musée, derrière le rideau d’illusions qu’il tend devant nos yeux, est sans doute une épreuve ».

Car d’épreuves il en est question dans ce récit, chacun des protagonistes étant amené  à éprouver ses limites, perdant toute notion du temps, n’ayant qu’une idée imprécise du plan du château. Les repères volent en éclat. Seul demeure un détail tangible qu’ils observent de temps à autre par une fenêtre : la silhouette du père d’Antoine, occupé, sur sa charrue, de tracer de beaux sillons parallèles, indices qu’une extériorité les attend. Leur destin ?

Ce mouvement erratique résonne furieusement dans notre actualité, surtout quand on sait que la première salle (des gardes) est aussi celles des masques. Certes d’autres que ceux que l’on ne connait que trop bien en ce moment, mais masques tout de même.

Ce récit n’est-il pas une invitation à « nous voir autrement » dans le but, qui sait, de retrouver le sens de l’humain ?

Alors le rêve fonctionnerait comme révélateur ? Oui. Et peu importe que tout cela soit vrai ou pas.

Amélie Dewez

[1] Château dont la description donnerait à reconnaître la forteresse octogonale de Castel del Monte au cœur des Pouilles