Trains de vies, vies en train

Frank ANDRIAT, Lorsque la vie déraille, Quadrature, 2021, 145 p., 16 €, ISBN : 978-2-931080-10-8

andriat lorsque la vie derailleDans le TGV Paris-Toulouse, en route pour le Salon du livre, un auteur supporte tant bien que mal le monologue prétentieux et vulgaire d’un écrivain à succès.

Maria part rencontrer de jeunes lecteurs dans un collège alsacien. Ni la grève de la SNCF, ni le mauvais pressentiment de Lorris ne la dissuaderont de prendre le train pour Colmar.

Après deux mois à éprouver leur amour, Geoffrey part retrouver Dora sur le quai de la gare de Verviers-Central. Aucun nuage à l’horizon, les retrouvailles s’annoncent idylliques. Mais qui diable était ce sosie de Dora croisé avant même d’atteindre la gare de Schaerbeek ?

Avec plusieurs copains de classe, Angéline se rend quotidiennement en train à l’école à Athus. Un trajet ferroviaire commun suffit-il à souder un groupe ? Et dans ce cas, pourquoi certains y seraient-ils plus légitimes que d’autres ?

Un Bordelais marié part retrouver sa maîtresse à Luxembourg. De retards de train en course à la correspondance, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?

Pendant le long trajet de Bruxelles-Midi à Arlon, un couple s’efforce d’évoquer des souvenirs heureux pour tenir à distance une mauvaise nouvelle.

On connaissait le roman de gare, voici le recueil de nouvelles sur le rail. Et par « sur le rail », il ne faut pas entendre « au sujet du chemin de fer » mais bien « avec le train pour décor ». Qu’il soit à grande vitesse ou omnibus, tout navetteur le sait, le train est perpétuellement le théâtre d’histoires en tous genres : aventures de voyageurs, conversations partagées ou entendues, moments d’introspection bercés par le cahotement. Pour Lorsque la vie déraille, Frank Andriat, visiblement connaisseur, en a imaginé six, six variations autour d’un fil rouge : le train ; avec un thème qui revient : l’amour.

Six récits qui alternent la narration à la première, à la deuxième et à la troisième personne, poussant l’exercice de style jusqu’à commencer la quatrième nouvelle à la première personne du pluriel ; utiliser le vous de politesse pour la cinquième ; et faire la part belle à la troisième personne du pluriel en racontant le parcours d’un couple inséparable. Au-delà de l’anecdote, la variété des narrateurs participe à la diversité des genres, des personnages, des situations, des histoires en somme. Et ce sont elles qui embarquent les lecteurs, qui ne seront pas longtemps déstabilisés par l’emploi si rare de la narration à la deuxième personne par exemple, pour peu qu’ils l’aient été d’ailleurs.

En même temps qu’il brosse avec soin le portrait de ses personnages, l’auteur crée des ambiances et installe un suspense qui rappellent par moments les nouvelles de Roald Dahl ou Jeffrey Archer. Et on se laisse absorber par chacune de ces histoires réalistes, avides d’en découvrir le dénouement.

Estelle Piraux