Jonathan ZACCAÏ, Ma femme écrit, Grasset, 2021, 214 p., 18.60 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 9782246825463
Vincent, acteur de fortune et de notoriété moyenne, empêtré dans une famille chaotique où chacun se réfugie dans ses propres fictions, a perdu sa mère. Il peine à s’en relever. Vincent et elle avaient une relation fusionnelle, pétrie d’une loyauté indéfectible, de conflits perpétuels, et d’une admiration réciproque pour l’artiste qu’il est, qu’elle était. Une sensibilité exacerbée et le besoin d’inventer sa vie ne seront pas les moindres des héritages qui échoient à Vincent. Alors, pour avancer, pour sortir de sa léthargie, et aussi pour « sortir de l’ombre », Vincent décide d’écrire un livre sur sa mère. Il y pense. Il allume son ordinateur. Il rêve de ce livre. Il l’imagine. Bien entendu, son projet n’avance guère. C’est alors qu’il découvre que sa femme écrit sur le même sujet. Sa femme qui est efficace, qui n’est pas coincée comme lui dans les affres de l’absence, qui pousse devant elle non un livre, mais rien de moins qu’un scénario pour le cinéma, et qui connaît des producteurs, de grandes actrices influentes, bref, sa femme qui va réussir à écrire sur sa mère. Dès lors, la hache de guerre est déterrée. Et l’équilibre précaire de Vincent s’écroule. Il avait trouvé quelque chose pour reconstruire l’être brisé qu’il était, et sa femme l’en dépossède. Vincent ne veut pas partager sa mère, ni sa douleur.
Cela faisait partie de notre rituel, d’appuyer sur nos points faibles, et donc sur nos mères.
Il se met alors en campagne, improvisant des stratégies joyeusement foutraques, se glisse dans la peau d’espion de série B, se faufile dans Paris et dans son appartement, dérive dès qu’une digression est possible, consacre cent fois plus d’énergie à observer rageusement les progrès de sa femme qu’à son propre livre, arpente les cimetières, fait des selfies dans la rue, voit des zombis, tape « chats qui sentent les fantômes » sur Google, aperçoit la petite culotte de sa psy en s’interrogeant : « est-ce thérapeutique ? »
Dans son premier roman, Jonathan Zaccaï parvient à recycler et détourner son propre vécu avec beaucoup de tendresse et d’autodérision. Certes, le livre que nous tenons dans les mains n’est pas le livre que Vincent projette maladroitement d’écrire, et s’il est un hommage à sa mère, une tentative de l’empêcher de disparaître, c’est surtout dans la forme qu’il faut le lire, car on ne parle finalement que peu de cette mère fantasque et artiste, par petites touches émues, et quand on en parle c’est plus pour évoquer sa personnalité hors du commun que, par exemple, son œuvre. Mais sur un plan stylistique, Jonathan Zaccaï fait vivre son héritage avec ardeur. Ma femme écrit est une fantaisie baroque explosive : chapitres brefs et dynamiques, confusion délicieuse et constante du réel et de la fiction (à cet égard, les convocations régulières par Vincent de scènes de cinéma pour appréhender ce qu’il vit rappellent d’où l’auteur vient), récits emboîtés les uns dans les autres, art du décalage (besoin d’une mère de substitution ? Catherine Deneuve vous cuisine des pâtes à la sauce arrabiata sur le pouce). Et le tout est servi par un sens consommé de la formule, jugez plutôt : « Quand les flics sont belles, ça me redonne foi en la vie. » « Mon inutilité me dégoûte, et même le constater me semble une pose. » « Enfant, j’étais convaincu que la mort m’avait oublié. »
Plus un livre artistique donc qu’un livre sur l’art, Ma femme écrit est un roman déraisonnable comme on aime en lire, un roman qui repose les vieilles questions de l’amour et de la reconnaissance avec des mots neufs et vifs.
Nicolas Marchal