Les secrets du professeur de scénario

Luc DELLISSE, L’atelier du scénariste. Vingt secrets de fabrication, Impressions nouvelles, 2021, 192 p., 16 € / ePub : 7.99 €, ISBN : 9782874498510

dellisse l atelier du scénariste vingt secrets de fabricationNouvelles, essais, poésie…, l’écrivain Luc Dellisse a publié ces derniers mois plusieurs livres qui ont quelque peu éclipsé l’autre (si ce n’est le premier) versant de son travail : celui de spécialiste du cinéma, et plus particulièrement du scénario. Professeur de scénario, Dellisse a tiré de son métier le roman éponyme, mais aussi des ouvrages qui tiennent plus du guide pratique, tels que L’invention du scénario et  L’atelier du scénariste, que rééditent opportunément Les Impressions nouvelles après une première publication en 2009.

Au cinéma, le scénario est un stade préparatoire, non un but en soi. Tout entier tendu vers le film, il est tout à la fois réalisé et aboli par lui. La tâche du scénariste peut dès lors paraitre ingrate : lors de la dernière cérémonie des César, Annie Duperey a qualifié le César du scénario de « César de l’abnégation ». Luc Dellisse parie au contraire sur la dignité du scénario, en affirmant ce « postulat inusité : l’idée qu’un scénariste est d’abord un écrivain ». Complété par un second, implicite celui-là : l’écriture peut s’apprendre, et donc s’enseigner. Plutôt consensuelle dans les études cinématographiques, l’idée fait toujours débat du côté des filières littéraires. Postulant que le scénariste est un écrivain, le livre de Luc Dellisse est donc aussi, d’une certaine manière, une prise de position dans la controverse.

L’atelier du scénariste s’adresse en premier lieu aux apprentis scénaristes, à qui il destine ses Vingt secrets de fabrication, répartis en autant de chapitres. Ils évoquent tour à tour le flash-back, la résolution, la voix off… Ceux qui espèrent trouver là quelques recettes prêtes à l’emploi, quelques trucs et astuces transposables sans autre forme de réflexion, en seront pour leurs frais. Ainsi la section consacrée au flash-back invite-t-elle les (futurs) scénaristes à réfléchir à la nature même d’un procédé pourtant couramment utilisé :

La parole est par excellence le vecteur de la mémoire, c’est-à-dire la restitution intime du passé. N’est-elle pas plus efficace et plus véridique que ces surgissements artificiels ? Et en outre, l’effet de ce passé dans le corps et dans le vécu des personnages n’est-il pas l’indicateur très sûr que ce passé a eu une action concrète sur le présent (comme une femme qu’il ne serait pas nécessaire de montrer par flash-back enceinte de six mois, si on la voit jouer dans l’action présente avec un jeune enfant qui l’appelle maman) ?

L’omniprésence du flash-back est peut-être le signe sinon d’une paresse, du moins d’une idéologie. En l’occurrence, celle qui consiste à prétendre que les images sont toujours plus efficaces, plus « cinématographiques », que les paroles ou les effets induits.

Ainsi menée, la réflexion s’adresse à un public plus large que les seuls scénaristes. Les cinéphiles trouveront en effet dans ces pages de passionnantes réflexions, auxquelles ils ne manqueront pas de se référer lorsqu’ils (re)verront certains films. L’auteur de L’atelier du scénariste est d’ailleurs le premier à mettre ses principes à l’épreuve : chaque chapitre donne lieu à l’analyse d’un long-métrage qui éclaire le propos théorique.

Pour ce faire, Luc Dellisse a choisi de procéder par des exemples plutôt que des contre-exemples et réserve ses analyses fouillées aux films qu’il considère comme des réussites. Une exception, quand même : l’auteur s’autorise à décocher quelques flèches contre la saga Star Wars, mettant au jour l’indigence scénaristique des aventures galactiques désormais exploitées par les studios Disney. Mais l’essentiel du propos porte sur les œuvres qui font la dilection de l’auteur, en une filmographie où Le roman d’un tricheur (Sacha Guitry, 1936) voisine avec Parle avec elle (Pedro Almodovar, 2002), ou Les aventuriers de l’Arche perdue (Steven Spielberg, 1981).

Des films que L’atelier du scénariste donne envie de (re)voir, toutes affaires cessantes.

Nausicaa Dewez

Extrait proposé par Les Impressions nouvelles