La vie, toutes affaires cessantes

Jean-Louis SBILLE, Sergent-chef Massamba, Lamiroy, 2021, 128 p., 12 €, ISBN : 978-2-87595-417-6

sbille sergent chef massambaA priori, les deux personnages  qui animent ce roman n’auraient jamais dû se rencontrer. L’un est producteur de séries télévisées et il revient à Bruxelles d’un voyage d’affaires. Il s’apprête à rejoindre son amante ukrainienne pour une soirée torride. L’autre, un vieil Africain qu’il prend tout d’abord pour un sans-papier, arrive aussi dans la même gare. Le premier est aux prises avec un pneu crevé sous une pluie torrentielle et ne sait que faire. Le second empoigne d’autorité le cric et change la roue en quelques minutes. En merci de quoi il lui est proposé de le véhiculer à l’adresse bruxelloise où il se rend et qu’il tient griffonnée sur un papier froissé.

Sauf que le détour de quelques minutes va durer plusieurs jours et que notre homme d’affaires fringuant se trouve embarqué dans une aventure à rebondissements. Car son passager, qui est un des tireurs sénégalais venus en renfort pour libérer la France du nazisme, revient sur ses pas quelques décennies plus tard. Dans ses souvenirs les plus précieux, il y a un chef bruxellois admiré dont il a conservé l’adresse, laquelle les conduit devant un terrain vague, puis dans une maison de repos où séjourne l’homme recherché, qui, gagné par la sénilité, n’est plus que l’ombre de lui-même. Mais le passager n’en reste pas là. Foi de Sergent-Chef Papa Massamba Tolo, Croix de la Libération, médaille coloniale avec agrafe, médailles commémoratives d’Indochine et d’Afrique du Nord, il a d’autres affaires à régler avec le passé. Et la présence de son comparse lui donne des ailes. D’abord réticent, l’homme d’affaires se prend au jeu et envoie promener son agenda et, surtout, tombe sous le charme de ce vieil homme dont la dynamique lui est étrangère. En fait, ces deux-là sont d’une complémentarité touchante qui permet à chacun de mener à bien ce qu’il n’aurait pas fait seul. Le tireur sénégalais a sorti des lettres échangées avec une famille alsacienne dans laquelle il a séjourné à la fin de la guerre. Tombé amoureux de la fille de la maison, il n’est jamais revenu sur ses pas, mais il sait qu’un fils est né après son départ. Il reste à exploiter les quelques indices,  à faire preuve de persévérance et de culot, ce qu’ils font très bien à deux.

Les différentes étapes de la narration sont ponctuées d’anecdotes qui laissent une bonne place au comique de situation. La visite d’un couple de Japonais dans un restaurant bruxellois en marge d’un contrat de production à signer vaut à elle seule le détour. Mais c’est évidemment la confrontation des deux protagonistes, que tout opposait a priori, qui occasionne les plus belles répliques, celles empreintes de langage militaire un rien désuet croisant le verbe branché du producteur. Jean-Louis Sbille, qui est lui-même producteur radio et TV, s’est manifestement fait plaisir en compagnie du Sergent-Chef Massamba et cette joie porte le récit. De cette échappée au rythme décoiffant qui ne néglige pas de taquiner les questions existentielles, nous sortons revigorés par le courant d’air de la fraternité, tous masques tombés. Et cela tombe à pic, car nous avons aussi besoin de livres qui font du bien en ces temps incertains.    

Thierry Detienne