Hier au cœur d’aujourd’hui

Yves-William DELZENNE, Journal de printemps, Samsa, 2020, 72 p., 16 €, ISBN : 978-2875933263

delzenne journal de printemps« Il m’arrive de croire que tout a été mis en péril du jour où l’on coupa les grands beaux arbres qui formaient une promenade devant la villa de mon enfance. »

C’est par ce « saccage » du paysage familier, destiné à faire place à une route élargie (« la folie de l’automobile » s’imposait dès la fin des années cinquante), qui est aussi un « saccage » de sa petite enfance, qu’Yves-William Delzenne ouvre son Journal de printemps.

Fréquentant très tôt des théâtres où il jouait de petits rôles, des salles de concerts et l’opéra, sur les pas de son père musicien, il garda longtemps, dans ce monde littéraire et artistique qu’il habite intensément, un visage et une allure de « grand enfant tiré à quatre épingles ». 

Il évoque ses promenades d’« adolescent nervalien » aux environs de Bruxelles.

Ses rencontres à Gembloux avec Andrée Sodenkamp, qu’on est heureux de retrouver dans son salon au milieu d’amis fidèles, Jeanine Moulin, Maurice Carême, Lucie Spède… À Bruxelles avec Albert-André Lheureux ; Jacques Antoine, dans son élégante librairie de la rue des Éperonniers, qui deviendrait plus tard l’éditeur de ses Poèmes d’amour persans.

Ses séjours à Milan, à Paris, à Venise, « ma destination de prédilection ».

Ses voyages en Angleterre, en Allemagne, en Autriche… ; surtout en Italie où, sourit-il, « j’ai contemplé les plus purs chefs-d’œuvre de la peinture et participé ça et là à des bacchanales mondaines ».

Son mariage précoce avec une lumineuse pianiste aux yeux verts. « Nous voilà, elle et moi, quarante-neuf ans plus tard, toujours amoureux, l’un de l’autre. »

Habitant désormais à Ostende, le romancier poète chante « ce bleu de la mer où le soleil se noie lentement en le teignant de vert et d’orange ».

Face au vaste horizon, il s’imprègne de souvenirs tour à tour rêveurs, émus, amusés. Jalonnés de précieuses images du Printemps de Botticelli.

Dessine des silhouettes célèbres, de Michel de Ghelderode à René Magritte, de Montserrat Caballé à Serge Lifar. Sans oublier Marpessa Dawn, nimbée du succès d’Orfeo Negro.

Son regard se fait plus sombre, son trait plus incisif, lorsque le grand voyageur qu’il fut observe : « La seconde moitié du XXe siècle aura saccagé le pittoresque du monde et même davantage. Sollers avait beau prétendre il y a vingt ans que Venise recelait encore des coins secrets, des moments d’éternité à l’abri des foules, il ne pourrait réitérer ces déclarations sans mentir. »

Sans illusions, il médite : « La peur menace toujours nos vies ; nous rions, nous chantons, nous jouons, nous aimons pour oublier que nous pourrions avoir peur, que nous avons peur. » «  La vie est un élan, il faut si peu pour le briser. »

Et prend congé, entre ironie et mélancolie : « Il est bien temps que j’arrête de coucher sur le papier (je rappelle que j’écris encore avec un stylo dans un cahier d’écolier posé sur mes genoux) mon amertume du monde tel qu’il est devenu. »

Mais sous ce désenchantement vibrent des images, joies, émotions inoubliées.

Francine Ghysen