« des siècles tremblants de tant de vie… »

Un coup de cœur du Carnet

Florence NOËL, Assise dans la chute immobile des heures, Bleu d’encre, 2021, 117 p., 12 €, ISBN : 978-2-930725-39-0

noel assise dans la chute immobile des heuresEn 2019, Solombre, le précédent recueil de Florence Noël pour lequel elle a reçu le prix Delaby-Mourmaux, s’ouvrait par une citation d’exergue de l’écrivain mexicain Octavio Paz. Pour Assise dans la chute immobile des heures qui paraît aux éditions Bleu d’encre, l’auteure convie le poète argentin, Roberto Juarroz, à ouvrir le bal. Premiers indices peut-être qui attestent de l’importance accordée au tremblé de la lumière, de cette « lumière fendue d’exactitude », verticale, qui arrose littéralement la poésie de Florence Noël. Comme l’arpenteur du désert dont la vue est troublée par le brouillard à l’horizon, le lecteur perçoit d’emblée ici ce que nous identifions dans les autres recueils à savoir, cette tension constante entre la nuit intraitable, consolatrice et l’ardeur vacillante de la lumière. Véritable « épopée lumineuse », livre solaire sur la table de chevet de la nuit, la langue poétique ne cesse de jouer sur ces contrastes pour révéler l’angoisse profonde d’un trop-plein d’émotions, une crainte ancestrale qui peut surgir à tout instant. « Peur incurable » de ces lendemains qui s’épuisent et au creux desquels même la rosée déchante.

quand trop d’amour
enserre mon souffle
trop d’amour troué
de parasites
de mouches blanches
que les roses abritent
je me tais comme
la douleur crie

Les cinq parties qui scandent le recueil déclinent chacune à sa manière cette appréhension d’une perte, douleur criante qui navigue entre clair et obscur, à la fois personnelle et universelle parce qu’insaisissable. C’est le tour de force sans doute de l’écriture de Florence Noël que de creuser ce sillon que nous suivons tous un jour ou l’autre. L’écho d’une mémoire qui s’ancre dans la période de l’enfance et la nuit des temps.

ce que nous devons
à cet enfant
la pomme
et la faim verte
les feuillages
l’or où meurt l’été
l’émotion
innommée à son
surgissement

La multiplication des oxymores renforce le caractère paradoxal de cette hantise connue de l’enfant qui se sent attiré par ce qui lui fait le plus peur. Le trou noir qui aspire, les ombres menaçantes, le monstre sous le lit, toutes ces images toujours changeantes dès que la lumière revient sur le kaléidoscope de nos espoirs. Dès lors, pour Florence Noël, la chute est immobile, les jours sont endeuillés d’or et l’on écoute l’autre se taire, peut-être parce que l’on n’a plus rien à lui dire.

Mais…

il subsiste des lambeaux
de voix
arrimés aux arbres noircis de gel
nos enfances sans doute
que la saison spectrale
convoque

Rony Demaeseneer