Véronique Bergen : Hélène on the rocks

Un coup de cœur du Carnet

Véronique BERGEN, Icône H. Hélène de Troie, ONLiT, 2021, 19 , ISBN : 978-2-87560-135-3

bergen icone h« Moi, Hélène, moi qui ne suis pas moi, je suis gratifiée d’une illumination. Je me tiens dans la lignée des sentinelles de l’infini, des veilleurs du néant. »

Portrait d’Hélène version « destroy », Icône H. de Véronique Bergen se présente comme un récit polyphonique qui remonte aux origines du mythe d’Hélène de Troie en le télescopant au 21e siècle. Fille de Zeus et de Léda, Hélène a écopé d’une insoutenable beauté et d’une inconcevable liberté qui lui vaut humiliations, violences, insultes et crachats. Elle y serait pour quelque chose, à la guerre de Troie. Qu’incarne-t-elle, véritablement ? Tour à tour, Hélène elle-même, Léda, Clytemnestre, les prétendants, Hermione, Pâris, Ménélas et Electre se pressent à la barre du récit pour sonder et jeter en pâture Hélène devenue icône (souvent en l’apostrophant), elle qui « plaide l’irresponsabilité totale » : « je suis l’insondable, l’irrésistible par excellence ».

Sex and drugs, l’Hélène de Troie de Véronique Bergen est décapée au vitriol, au travers d’une langue-glaive toute en harnais, corsetée de latex – comme si elle était droite sortie de Gang blues ecchymoses, livre issu de la collaboration entre Véronique Bergen et la photographe Sadie von Paris, qui signe une nouvelle fois les photos en couverture et en intérieur de couverture d’Icône H.

Pour recycler mes traumas et les conduire au pays de la guérison, j’ai trouvé deux auxiliaires : aguicher et raconter des bobards. Plus j’ouvre les jambes, plus je ferme l’accès à mes biographèmes, plus je brouille les pistes. Mon corps a beau être renversé à l’horizontale, je suis cadenassée dans l’illocalisable.

En décalage de la « narration officielle » et linéaire du mythe d’Hélène de Troie, Icône H. explore le labyrinthe Hélène, ses entrelacs systémiques et politiques, infiniment impliqués et stratifiés. Le récit déroule le nœud coulant qui enserre tout être-Hélène promis à l’annihilation.com des diktats de la « normalité » et de la « norme » en convoquant d’autres icônes marquées du sceau de la liberté (intellectuelle, morale ou sexuelle). Scandé en de courts chapitres qui cristallisent de purs blocs-affects (comme la rancœur, les pulsions, les obsessions,…), le roman Icône H. décoiffe les lettres et les syntagmes sans jamais les brosser dans le sens du poil.

Icône H. est un roman magistral, qui plonge dans les profondeurs de l’inaccaparable beauté et de l’irrépressible liberté : ici, la lumière émane du noir.

Charline Lambert