Des oignons aux fleurs

Tristan ALLEMAN, Avoir fleurs, Cactus inébranlable, coll. “Microcactus”, 2021, 58 p., 8 €, ISBN : 978-2-39049-037-1

alleman avoir fleursAux éditions du Cactus inébranlable, le mystère des titres est souvent un jeu de pistes et de cache-cache avec le bon sens. Tristan Alleman et son dernier opus Avoir fleurs n’échappe pas à la règle… Nous étions évidemment particulièrement soucieux de découvrir le sens de cette étrange locution verbale, « avoir fleurs ». Interrogé sur le sens de ce titre, l’auteur nous rappelle l’émotion toujours présente et sa joie à la lecture des poèmes de Géo Norge à qui il dédie ce recueil.

En effet, la solution à ce mystère grammatical était logée dans la suite des titres des recueils de Norge… Les oignons et  quelques années plus tard Les oignons sont en fleurs. Avoir fleurs poursuivait la floraison poétique et ces fleurs poussaient donc définitivement dans l’imaginaire de la langue de Tristan Alleman. Avoir fleurs comme avoir faim, avoir froid, avoir peur. À la lecture de ce court recueil d’aphorismes où la logique est prise à l’envers à défaut d’être perceptible à l’endroit, une sorte de sérénité gagne le lecteur. Le monde n’est plus opaque, il suffit de l’éclairer d’un autre endroit.

Absence

Asseyez-vous. Peux pas : pas de chaise. Restez debout. Peux
pas : pas de jambes. Réfléchissez. Peux pas : pas de tête. Taisez-
vous. Peux pas : pas de langue. Allez-vous en. Peux pas : pas là.

Les aphorismes de Tristan Alleman donnent un autre sens aux témoignages de notre vie intérieure,  ils renvoient sans cesse à l’absurde issu d’un réel trop  pressuré, que ce soit dans ses nouvelles, ses poèmes ou ces courtes histoires qu’il affectionne particulièrement. Il use littérairement de la retenue, qui est aussi une position éthique et cette retenue ne l’empêche pas de nommer autant les étoiles que la vie des égouts.
Un poète dans la galaxie de Norge se doit de se confronter à la matière, qui ne signifie en rien une lecture matérialiste du monde, au contraire, il s’agit plutôt de ne pas esquiver le regard qui saisit l’effroi (ou la beauté, Paul Klee) qui nous gagne dès lors qu’on regarde une chose longuement.
C’est peut-être un des secrets de la poésie de Tristan Alleman, qui est de trouver son  cours dans la respiration des fausses évidences.

Point de vue

Se retourner pour faire demi-tour n’est pas nécessaire. Il suffit
d’empoigner le paysage autour de soi et de le tirer avec force
devant vos yeux. Les oiseaux devraient suivre. Les bosquets et
les sentiers. Les collines et les étangs. Les rivières et les enfants.

L’art de l’aphorisme joue le risque permanent de la facile évidence, pire d’une fausse connivence avec l’humour du lecteur : il s’en écrit tant, des aphorismes, sur le Net, partout que la  plus haute exigence est requise pour que le genre ne se délite pas dans les adventices des jeux de mots !

Il s’agit donc, chez Tristan Alleman, d’esquiver la philo à deux balles et les absurdités de bon aloi…L’auteur tire le fil jusqu’au nœud et c’est alors que la tension a lieu.

Mauvais sens

J’avais un ami sourd. On dit malentendant. Et une amie, aussi.
Aussi quoi ? Sourde. On dit malentendante. Un autre mal
voyant. Qui avait une amie malvoyante et sourde. Je vous dis
qu’on dit malentendant. Vous êtes sourd ou quoi ?

Autant dans ses poèmes que dans ses nouvelles, l’auteur use d’une simplicité qui apparaît si lumineuse que le lecteur souvent sent que quelques chose d’intense se trame et cette intensité, c’est la qualité de l’écrivain Alleman !

Daniel Simon