Paul ARON et Clément DESSY (dir.), Georges Eekhoud, Autres vies, autres vues, Textyles n°58-59, Ker, 2020, 330 p., 18 €, ISBN : 978-2-87593-232-7
À chacun de ses numéros, la revue universitaire Textyles aborde un des aspects de la littérature belge de langue française de façon féconde. Elle s’attache à des thématiques et problématiques qui éclairent notre littérature d’un faisceau porteur ; elle consacre ses pages à des grandes figures auctoriales du passé et du présent. Citons notamment, parmi ses numéros récents, ceux consacrés aux albums pour la jeunesse (n°57), à une relecture de La légende d’Ulenspiegel (n°54) ou à l’écrivaine Nicole Malinconi (n°55).
Dans une veine monographique, sous la direction de Paul Aron et Clément Dessy, elle consacre son dernier numéro à Georges Eekhoud (1854-1927), auteur que son grand roman, La nouvelle Carthage (1888) et la réputation tendent à figer en écrivain naturaliste, régionaliste et uraniste bien que son œuvre et sa personnalité soient plus complexes, prolifères, hétérogènes. On peut aussi regretter que son public reste souvent celui des érudits alors que la liberté, la flamboyance et la beauté de son écriture mériteraient un lectorat bien plus étendu. Aussi, pour élargir sa réception, les contributeurs de ce numéro ont-ils axé leurs articles sur des aspects et des textes moins connus. Il sera donc peu question de naturalisme ou de la comparution d’Eekhoud devant les assises de Bruges pour son roman Escal-Vigor (1899). Parfois chronologiquement, parfois thématiquement, les auteurs ont investi les marges et les marginalités qu’aimait tant Eeckhoud, exploré son travail de nouvelliste, d’écrivain d’art, de journaliste, de chroniqueur, de professeur, de traducteur, de médiateur culturel. De poète aussi. On découvre ainsi ses recueils de poèmes, parus dans sa vingtaine. Des poèmes, au « carrefour du romantisme, du Parnasse et d’une modernité balbutiante » qui flirtaient parfois avec le récit. En retour, ses romans, ses nouvelles seront irriguées de poésie comme l’explique Guy Ducrey. Selon lui et Michael Rosenfeld, les nouvelles du recueil Mes communions (1895) peuvent être perçues à la fois comme un manifeste d’esthétique et d’anticonformisme. Ses écrits vont souvent lui permettre d’inscrire sa vision de l’histoire, de la société. Dans les « Chroniques de Bruxelles » qu’il tenait au Mercure de France (1897-1914), il va notamment construire, progressivement, sa propre histoire du littéraire et de l’artistique belge, indépendante de celle de la France. Maud Gonne, en étudiant la (sous-)représentation de la Wallonie dans ces chroniques, montre qu’il crée l’image d’une Belgique avant tout flamande et bruxelloise. Rainier Grutman précise d’ailleurs que tout en n’écrivant pas le flamand (contrairement à ce qui se dit parfois, notamment dans sa notice Wikipédia) Eekhoud allait « intégrer l’identité flamande à sa posture d’écrivain ». S’il adorait le parler flamand sans vraiment le pratiquer, il connaissait d’autres que le français. Il a notamment traduit les dramaturges élisabéthains. À sa manière. En apportant un supplément d’âme aux textes. Une âme hors les normes qu’il est précieux de (re)découvrir.
Michel Zumkir