Les raisons de la colère

Lucie MAHIEU, Il nous faut drainer la colère, Academia, 2021, 224 p., 18 €, ISBN : 978-2-8061-0571-4

mahieu il nous faut drainer la colereLucie Mahieu, l‘autrice, est coordinatrice d’une maison d’accueil pour adultes à Mons. On y croise des personnes en grande précarité, de celles qui ne rentrent plus dans aucun créneau d’aide classique et qui se trouvent le plus souvent sans logement. Il nous faut drainer la colère, échos de la maison d’accueil Saint Paul rassemble des articles qu’elle a écrits au cours des vingt dernières années et qui ont été publiés dans le bulletin de liaison de son institution.

Ce n’est guère chose simple de parler du malheur des autres sans tomber dans le voyeurisme ou le jugement. Il faut au contraire déployer une juste et pudique empathie et surtout dépasser l’émotion pour chercher la personne qui se cache derrière ses problèmes. En plusieurs décennies, l’autrice a croisé des milliers de personnes en besoin. Elle les a écoutées, elle a partagé des moments de leurs vies quotidiennes, elle a mené des combats administratifs avec elles, poussé les bonnes portes, parfois jusqu’à l’obtention d’un travail, d’un logement. Elle a aussi démonté avec elles les ressorts de leur débrouille pour identifier et valoriser leurs atouts, leurs forces et pour museler leurs faiblesses. Elle a le plus souvent affronté les nouveaux échecs et constaté le peu de place que notre monde réserve aux personnes qui ne sont pas dans le coup pour de multiples et complexes raisons. Et devant son clavier, elle en a extrait des réflexions d’ensemble pour pointer les nœuds essentiels des mécanismes sociétaux qui rabaissent et proposer des solutions qui ouvrent des perspectives.

La pratique de l’écriture en marge du travail social mérite d’être mise en lumière. Lucie Mahieu a été bénévole auprès du Mouvement ATD Quart monde. Cette association a de toujours fixé parmi ses priorités la mise en mots de la grande pauvreté en passant par les récits de vie, leur publication, la production de spectacles. Pour rappeler que la misère est souvent aussi celle des mots, et que quand les gens se taisent, ils perdent une part première de leur humanité. Cet héritage se sent dans ses chroniques, les gens dont elle nous parle prennent forme humaine et repoussent les préjugés. Elle leur restitue leur place dans la mémoire collective.

Les chroniques qu’elle a sélectionnées s’inscrivent aussi dans l’actualité du moment où elles ont été écrites, mettant en évidence sa perception par les résidents et les travailleurs sociaux, jusqu’au confinement lié à la récente pandémie. Et surtout, elle nous partage ses lectures nombreuses qui nourrissent sa réflexion ou lui permettent de souffler, son amour constant de la poésie. Pour mieux souligner que l’écriture est la continuité de son travail, qu’elle le nourrit, lui donne sens, et cette association entre le faire, le lire et l’écrire est en soi une philosophie de vie qui traverse le livre entier et qui dégage une énergie bienfaisante. Pour elle, comme elle l’affirme, et à nul doute pour le lecteur.    

Thierry Detienne