Contre la douleur, la couleur…

Philippe MATHY, Dans le vent pourpre, Gouaches André RUELLE, Herbe qui tremble, 2021, 116 p., 16 €, ISBN : 9-782491-462161

mathy dans le vent pourpreConstitué de sept sections, chiffre symbolique s’il en est, présent dans de nombreuses cultures, désignant l’absolu, la totalité, l’émergence d’un monde nouveau et l’union des contraires, le présent recueil de Philippe Mathy, rehaussé de gouaches sur papier du peintre André Ruelle (Charleroi, 1949), s’inscrit dans l’esthétique habituelle du poète, avec toutefois une tonalité plus noire, plus dramatique pour les poèmes écrits pendant une résidence d’écrivain à Verdun ainsi que pour ceux de Jours de cendre. Dans le vent pourpre ; Dehors, mains ouvertes ; Rive de Loire et Belle-Ile s’offrent comme des suites renouant avec une méditation sur la beauté de la nature, méditation non dénuée de gravité, sur la sensibilité et l’ouverture à l’autre, sur la fragilité de la vie mais aussi son incomparable pouvoir d’émerveillement. Des poèmes de circonstance clôturent un recueil de belle facture, avec d’incontestables réussites, comme dans ce poème dédié à la mémoire d’André Schmitz : « (…) tes poèmes brûleront encore/comme le feu bleu d’une ambulance/sans que nous sachions/si elle nous conduit à te rejoindre/ou peut-être à nous guérir/de la blessure de vivre. »

Philippe Mathy n’est pas un poète hermétique. Ce n’est pas non plus un poète de grande surface. Sa poésie élégiaque n’est en effet pas dénuée d’une certaine retenue et d’une simplicité qu’il faut savoir déchiffrer. Ce marcheur, qui rêve éveillé, sait percevoir toutes les nuances d’un paysage, d’une lumière franche ou diffuse, d’une composition naturelle. La projection des sentiments humains sur la nature environnante et les effets de celle-ci sur le psychisme du poète sont constamment opérants. Les poèmes de Philippe Mathy acquièrent dans ce va-et-vient une profondeur discrète, une gravité soucieuse de justesse, loin de l’esbroufe égocentrique et du tapage adulescent. Non, le poème n’est pas  un selfie. Écrire, avec la probité d’un artisan qui a appris son métier, et prendre le temps qu’il faut pour parcourir le chemin nécessaire, voilà qui caractérise le tour de parole, comme on le dit du tour de main, de celui qui, recueil après recueil, creuse la question de l’être-au-monde en même temps ici que celle de l’héritage et de la mémoire. Dans notre époque individualiste et oublieuse, ce rappel est salutaire : « Dans la houle intérieure, des mots, vigies attentives au silence viennent s’abreuver à un possible futur, nous redonner le goût de vivre.» Dans un recueil publié précédemment,  Étreintes mystérieuses, Mathy nous rappelait que le poète est  « un guetteur sans but » attentif à l’étreinte mystérieuse d’un monde délivré du temps, voué à une « sorte de néant que l’on pourrait aussi nommer plénitude ».

D’un point de vue structurel, l’île est un ombilic fertile mais clos sur lui-même. La vitre, un passage pour le regard et en même temps un écran. Rythmiquement des vers libres, mais des octosyllabes ou des demi alexandrins voisinent avec des impairs. Le fleuve, la lumière offrent au regard impermanence et permanence. L’étoffe du texte est tissée par ce perpétuel mouvement de navette où les quatre éléments sont convoqués sur des registres à la fois destructeurs et constructeurs de sens : « Mon sommeil repose sur un oreiller de marées où le sable et la mer soulèvent des paroles (…). Flux et reflux, une respiration que l’on tente de retrouver en écrivant, espérant s’accorder au souffle des profondeurs ». Toute l’existence est formée de ces « pièces d’un puzzle dont nul de nous ne connaît l’image, pour ouvrir peut-être, dans la paix d’un jour clément, les portes du possible ». Beaucoup des images des diverses sections du recueil font appel à la liquidité : que ce soit celle de l’air ou de l’eau, du vent, des oiseaux, du flux et du reflux marin ou de l’écoulement du fleuve. À cette liquidité répond la terre, avec ses plantes, ses fleurs, ses arbres, ses roches, son feu. La nuit et le jour s’y répondent, comme le dehors et le dedans, le fixe et le mobile : « Longues nuits/matins humides et froids/branches noires perlées de gel//Lumière et chaleur des maisons/douces et tristes à la fois/quand nos rêves ne nous offrent//que de trop lointains matins de Pâques/pour espérer encore sentir en soi/monter la sève d’un printemps. » Dans la numérologie kabbalistique, le chiffre sept renvoie au sacré et à la lumière. Il est le signe d’une transcendance et la marque d’une vie intérieure, de la foi, de la volonté. Face à l’inévitable déchéance de tout ce qui vit, le poème dit ici la nécessité  de relier mémoire et renaissance.  

Éric Brogniet