Véronique ROELANDT, Mes hamsters, Arbre à paroles, 2021, 58 p., 10 €, ISBN : 978-2-87406-706-8
Parmi les derniers-nés de la collection iF, quelle bonne surprise que de découvrir, aux côtés des deux incontournables de la littérature belge que sont désormais Karel Logist et Christine Aventin, le premier recueil d’une toute nouvelle autrice : Véronique Roelandt.
Reçu — selon les dires de l’éditeur — par la Poste un jour de novembre, Mes hamsters a tout d’un fruit d’automne à peine desserti de sa bogue. Le texte est dense, solide, lustré. Il peut se lancer au visage dans les cours d’école, et heurter lorsque la main vise juste.
Mon dernier hamster
Portait un nom de dessin animé
Ce qui ne l’a pas empêché de crever
Le recueil se présente comme narratif par accumulation de fragments, placé sous le signe d’une poésie qui raconte et qui pense. L’on y retrace par tableaux l’enfance et le passage à l’âge adulte d’une narratrice qui les revit à la première personne. Si la forme est d’apparence commune, une certaine radicalité s’installe sous les traits d’un compte-rendu à l’ironie discrète et au détachement implacable.
L’un des signes de cette radicalité est la sévérité avec laquelle sont regardées la fragilité et la mort. La fragilité est celle d’une petite fille et de ses éclats de mémoire, souvent rendus vifs par l’expérience d’une injustice ou d’une blessure. La mort est celle d’une époque, d’un milieu, d’une génération familiale, à la fois au sens figuré — le temps passé — et au sens propre — la disparition des proches.
Dans une pièce aux murs blancs
Je dois lui dire au revoir
Ses lèvres sont plastifiées
Comme la couverture de mes cahiers
Comme devant un buffet jonché de bibelots, certains poèmes semblent décrire et annoter d’anciennes photographies. D’autres se souviennent de l’intérieur. L’évocation de moments tour à tour heureux et macabres, observés à égale distance, conduit à l’expression d’une insignifiance qui est peut-être la clé de ce recueil.
À hauteur d’enfant, les petits et grands drames se jouent sur la même scène. Les anecdotes quotidiennes et les secrets de famille, la vie et la mort pitoyable des hamsters, les détails simples et les grands enseignements. Peu de voix in, beaucoup de voix off : de ces observations et analogies se dégage une énergie froide et déconcertante.
Bien des années plus tard
Un autre fauteuil
Vu à la télé
Et mon père qui s’y enfonce
À mesure que la vie le quitte
Haletant comme ce chat renversé
Au bord d’une route
Économe de ses moyens, l’écriture de Véronique Roelandt sait ménager ses effets. Presque rien n’y est laissé au hasard — sinon le strict nécessaire. Les quelques cinquante pages de Mes hamsters constituent les éléments épars d’une nature morte, à la vue de laquelle se mesure la valeur d’un héritage pudique et judicieusement choisi.
Ce bref recueil réalise l’exploit de parler du bonheur sans le dire, de susciter le deuil sans le nommer. On y découvre un ton, un sens du tragique, et un humour mordant qui surprend plus d’une fois. Son ironie, enfin, se met au service d’un des territoires les plus respectables de la poésie : celui de la consolation.
Un jour
Mon père interroge ma mère
En nous désignant
Qu’est-ce qu’ils feront quand tu ne seras plus là
Pour sucrer leur café ?
Je n’ai pas la réponse
À cette simple question
Antoine Labye