Où en sommes-nous avec la mort ?

Un coup de cœur du Carnet

Anne GUINOT, Un si profond silence, Âme de la Colline, 2021, 178 p., 15 €, ISBN : 978-2-9602025-2-6

guinot un si profond silenceAnne Guinot est née en 1983 dans « un pays de forêts et de rivières ». Elle vit en Belgique depuis 2008 (Bruxelles d’abord, le Condroz ensuite). Un si profond silence est son premier livre. Un lieu de mots d’où elle nous parle de comment sa vie s’est figée quand elle a perdu sa mère, alors enceinte de jumeaux, et de comment le silence s’est installé dans son corps. Elle avait deux ans.

Un si profond silence fonctionne comme une enquête poétique où, dans une prose sans cesse entrecoupée de vers libres, l’autrice explore l’intime pour tenter de dire, de comprendre, de donner du sens (si tant est qu’il y en ait un) à ce qui s’est passé alors qu’elle n’était qu’une toute petite fille.

Une enquête en huit mouvements pour en remettre dans une parole gelée. Huit mouvements pour grandir. Pour vivre. Tout simplement. Comme le dit Nina Simone dans sa chanson Ain’t got no home : « I’ve got life, I’m gonna keep it », citée en fin de livre. Où chaque mouvement interroge le silence de la mort. Celui qui a pris toute la place et sur lequel l’autrice s’est construite. Chaque mouvement pour « arpenter les questions de l’intérieur. Comme dans un labyrinthe » puisque personne ne lui dit rien de sa mère, pas même Mamie Suzanne, sa grand-mère maternelle qui vit pourtant entourée de photos de sa fille décédée, une petite valise brune calée à côté de son fauteuil qu’elle ne quitte plus. Bien décidée à rester dans cet ailleurs qu’est le souvenir.

Anne Guinot cherche, sans vraiment savoir quoi : « sans doute cette envie forte de dévoiler ce qui était caché, de résoudre ce qui semblait une énigme », elle qui se sent comme « une femme enceinte », à « porter [ses] morts ». Elle qui fait tout pour [les] « remettre dans la vie, leur redonner une place dans le monde, les retisser dans l’histoire, c’est ça qu’[elle essaie] de faire en écrivant ». Parce que l’écriture devient une nécessité au moment où l’autrice approche de l’âge auquel sa mère est décédée. Elle qui sent son corps céder, qui ne peut plus « contenir et porter cette histoire ».

 Je vivais des états limites, états de panique, de dépression, de culpabilité et de honte intenses, alors que rien ne me menaçait.

Avec les mots, Anne démêle les nœuds, cherche comment sortir de la confusion, prend conscience qu’il lui faut cesser d’essayer encore et toujours de « faire revenir [s]a mère d’entre les morts ».

Au décès de sa grand-mère, elle cherche dans les objets qui restent de quoi combler le vide. Ne trouve rien. Ne sait plus où elle est. « (…) Tu viens du chaos et du silence/de l’insensé impensé qui a heurté l’enfance ».

Pourtant c’est de ce rien que surgit une hypothèse : si le vide laissé par Mamie Suzanne constituait les pages blanches qui lui faut inventer ?

S’affirme alors la nécessité pour l’autrice d’inventer, de redéfinir son périmètre, de redessiner son parcours. D’autant qu’elle retrouve, dans les objets de sa mère, un fil. Celui d’avant sa naissance. Celui du désir de sa mère et de son père.

Alors Anne part sur les traces de ce désir. Voyage rituel en Espagne, à Sant Carles de la Rapita et Teruel, où ce n’est plus sur le vide qu’elle tombe mais sur la beauté :

maintenant il y a quelque chose.

Maintenant, je sais que je suis née de cette beauté.

Un point de départ pour redonner du sens au monde, définir sa place. Pour ne plus avoir à choisir entre deux ou, mais à accepter l’intrusion du et dans la vie.

Pour la première fois, le et a pu s’articuler, la vie et la mort coexister.

Dans ce livre-poème, on éprouve comment la mort nous remet à notre place, qui nous demande de situer le lieu d’où l’on parle pour qu’une histoire puisse avoir lieu.

« J’ai la vie et je vais la garder » (Nina Simone)

Amélie Dewez