Jean-Luc & Simon OUTERS, Portraits de famille, La pierre d’alun, coll. « La petite pierre », 2021, 58 p., 15 €, ISBN : 978-2-87429-119-7
On a tous été confrontés aux vieilles photos de famille. Photographies polaroïd, sépia, argentiques qui ont cet avantage sur le numérique d’être imprimées donc aussi le pouvoir de remonter à la surface un jour ou l’autre, sans crier gare. Photos détentrices le plus souvent de secrets « flottant dans l’atmosphère » qu’ils soient d’alcôve, d’état ou de polichinelle. Gardiens de mémoires enfouies, ces clichés, retrouvés au fond de quelque tiroir, prennent la place de mots soufflés, écrits et perdus. Paroles qui s’envolent, images qui restent même si elles s’effacent parfois. Dans ce texte publié à La pierre d’alun sous forme de petit carnet à spirales (à feuilleter en écoutant William Sheller), les images de Simon répondent aux mots de Jean-Luc. Ou peut-être est-ce l’inverse ? Peu importe puisque le dialogue ici entre le père et le fils naît en quelque sorte de ces bains révélateurs qui font revivre les silhouettes familiales délitées.
Sur les portraits de famille,
même accrochés au mur,
planent les absents,
oiseaux noirs déployant leurs ailes
par-dessus libations et retrouvailles.
Indifférent aux secrets bien gardés
qui scellent les familles,
du noyau familial
aux lignages lointains,
on rit, on exulte, on s’embrasse.
Des portraits de famille qui sont les témoins de voix qui se sont tues. Échos de caractères ataviques dont on ne se sait d’ailleurs plus très bien d’où ni de qui ils proviennent. D’une tante disparue, d’un cousin dont on a perdu la trace ou peut-être de ce grand-oncle dont on connaît la date de décès mais que l’on n’arrive pas à repérer sur les photos.
Envolé aussi
le cousin flambeur
qui a fui sous les Tropiques
laissant derrière lui
dettes de jeu, caisses noires et faillites frauduleuses.
Ricochant sur ces silhouettes délavées, l’écriture fragmentée, sobre et nostalgique de Jean-Luc Outers joue ici à l’unisson du mouvement insufflé par les gravures de Simon. La réunion de leurs regards complices procède de l’œil du photographe, tous deux tournés vers un même objectif, le temps d’une pause. Garder la trace d’une filiation, en prolonger l’album tout en sachant que les secrets qu’il contient continueront de flotter dans ses pages jaunies et maculées.
[…] rien n’y fait, la tache demeure
comme la cicatrice de ce qui fut,
un drame que l’on tait
depuis la nuit des temps.
Rony Demaeseneer