Rudy LÉONET, CLARKE, AAA – Access all areas, Lamiroy, 2021, 90 p., 18 €, ISBN : 9782875955005
Rudy Léonet est une légende vivante de la presse (Télémoustique), télévision et radio belges (Radio Cité, Radio 21, Pure FM…), le producteur/animateur d’émissions cultes (French Kiss, 5 heures…). Un parolier pour d’autres (Indochine…) et pour La variété (groupe au disque électro-pop orphelin dont il fut le chanteur dans les années 1990). Rudy Léonet. Une personnalité clivante et, en même temps, tellement attachante. Un grand fan de musique à la mauvaise foi flamboyante et un professionnel travailleur, rigoureux, audacieux qui défend avec le même brio Depeche Mode et Patrick Juvet. Il est aussi un homme qui donne le meilleur dans la complicité. Avec Hugues Dayez à la radio ou avec le dessinateur Clarke dans AAA – Acces all areas, le livre paru aux éditions Lamiroy.
Dans celui-ci, il relate une trentaine de rencontres avec des groupes ou des chanteur.se.s pop/rock. Le titre, AAA – Access all areas, désigne le pass tant envié, qui permet, lors d’un concert, de se rendre dans tous les espaces protégés, interdits au public, des coulisses à la loge des artistes. Tout le personnel arbore ce badge, même les performers, même les plus stars mondiales, à part Elton John qui, contractuellement, demande à ne pas devoir porter ce laissez-passer, « l’ultime pass, le graal, le shazam ». Access all areas pourrait aussi désigner la façon dont Rudy Léonet conçoit ses interviews, une traversée du miroir pour atteindre les zones intimes, fragiles, blessées – inédites – de la création que l’interviewé, souvent, garde enfouies derrière son reflet cultivé, travaillé, parfois marketé, souvent contrôlé.
Cela pourrait aussi caractériser la façon dont il donne à voir son métier de journaliste musical, en toute clarté : la demande d’interview, la persévérance, la chance nécessaire et les ruses parfois déployées pour l’obtenir ; l’entourage et le management des artistes ; la préparation, le déroulement, le rituel d’un entretien avec une star – par exemple, Marilyn Manson qui l’attendait « dans sa loge parfaitement préparé, habillé, coiffé, maquillé, lentilles oculaires, la totale », la voix comme s’il avait « inhalé une sorte de gaz, un mélange entre hélium et oxygène pour avoir un timbre d’outre-tombe », mais ne livrant que des propos très peu passionnants. Les joies, les surprises, les déceptions rencontrées. Les coulisses visitées. Où les artistes (re)deviennent eux-mêmes : Björk « qui parle d’une petite voix facétieuse avec un énorme accent nordique » quand les micros sont branchés et qui, une fois éteints, se met « à parler avec un fort accent londonien natif ». Ou, David Bowie, qui n’avait que deux exigences avant de monter sur scène, une bouteille d’eau minérale tempérée et une machine à café expresso avec de l’excellent café italien et qui, après un concert lors de la tournée avec son album Outside, une fois « redescendu de scène, avec un plaid sombre sur les épaules pour se réchauffer » était attendu par « tout le personnel du festival rassemblé au bas de l’escalier pour lui faire une haie d’honneur jusqu’à la porte de son tour bus ». Rudy Léonet dit l’humanité ressentie, et qu’il n’a jamais vu une chose pareille et n’y assistera plus jamais.
Dans toute sa carrière, il a rencontré des artistes insupportables mais aussi des gentils et des généreux. Les plus grands par la gloire et aussi par le talent. Il ne semble que rarement avoir été démonté par eux. Il a tenu la dragée haute aux plus successful (il interrompt avant l’heure une interview de Blur lors d’un direct à la radio, parce que ceux-ci, saouls, « comateux et hilares » ne répondaient pas aux questions) et répondu aux Pet Shop Boys qu’il avait déjà vu un show aussi grandiose avec autant de décors et de costumes que le leur, celui de Mylène Farmer. Le groupe écoutera la chanteuse et, quand ils formeront un supergroupe avec Bernard Summer et Jonnhy Marr, ils sortiront un single intitulé Disappointed, en clin d’œil. Il a pu aussi se mettre minable quelquefois, vomir tout son stress après une rencontre avec le « chaleureux, grand, terriblement grand, impressionnant, terriblement charismatique Peter Gabriel ». Le plus souvent cela se passe le mieux du monde, en toute sympathie.
De ces anecdotes, le livre en regorge, mais il vaut pour bien plus que cela, il vaut pour cet amour de la musique, des artistes, du métier de journaliste qu’il transmet généreusement. Et Clarke de relayer le tout, avec humour, par ses dessins mixant les pochettes de disque et les anecdotes racontées. On demande la version augmentée « Deluxe » pour les prochaines fêtes, comme cela se fait pour les disques aujourd’hui.
Michel Zumkir