Un coup de cœur du Carnet
Elisa SARTORI, Je connais peu de mots, Cotcotcot, 2021, 14,50 €, ISBN : 978-2-930941-28-8
Ce leporello est un livre ; il se glisse dans un mince étui et se range dans les rayons d’une bibliothèque. Ce livre est un leporello ; fait d’une seule page pliée en accordéon, il ne se manipule pas comme un ouvrage traditionnel ; et voilà que se modifient pas mal d’habitudes de lecture…
Devant ce petit volume qui se déploie et sous l’apparente simplicité de sa forme, un certain nombre d’hésitations disparaissent : il n’y a pas à se demander ce qui se joue dans une mise en page serrée qui freine la lecture ou dans une disposition aérée qui rend la lecture aisée ; il n’y a pas à balancer entre le continu ou le discontinu ; il n’y a pas à s’interroger sur ce qui se dissimule ou ce qui s’expose…
Car tout est là, dès que s’ouvre le dépliant, en une longue colonne de papier, et l’on comprend vite que non seulement ce texte est un espace, mais qu’il se dispose dans un espace.
Tout dépend de la manière de manipuler ce que l’on a en main. On peut s’attarder, pli après pli, et s’imprégner de chaque mot découvert ; on peut dérouler rapidement l’ensemble, lui donner toute sa longueur et se laisser porter par l’enchaînement des phrases.
Le texte qui est là, ainsi mis en forme, ne s’offre pas au regard, il l’appelle, quel que soit le temps que prend la lecture, comme il sollicite le geste. Et ce qu’il dit, autant que ce que montrent les dessins, ne peut manquer d’émouvoir.
Tantôt entourée d’une pluie qui tombe goutte à goutte comme le vocabulaire vient mot à mot, tantôt noyée dans les hautes eaux que sont les règles grammaticales, les exceptions, les synonymes ou les doubles sens, celle qui commence, un peu craintive, en disant « Je connais peu de mots » et qui finit, rayonnante, en affirmant « alors on pourra mieux se comprendre », ne manque pas de poser une question essentielle : « Et si investir une nouvelle langue ne se limitait pas à l’acquisition d’une grammaire, mais représentait bien plus ? ».
Question sans fin, à répéter toujours comme invite à le faire le dernier pli de l’ouvrage d’Elisa Sartori qui se retourne sur le premier. Ce mouvement qui se ressaisit du texte, se disperse et se prolonge a fasciné des écrivains comme Michel Butor ou Bernard Noël qui ont construit l’un ou l’autre leporello. Il peut aussi, à travers ces mots suspendus, s’entendre comme un écho à un ouvrage du même type, composé par Colette Nys-Mazure, Françoise Lison-Leroy et Montse Gisbert, il y a vingt ans, à L’Esperluète : Je n’ai jamais dit à personne que…
Thibault Carion
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Elisa Sartori a reçu en 2021 le prix de la première œuvre en littérature pour la jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles.