Femmes kintsugi

Leïla ZERHOUNI, Femmes empêchées, M.E.O., 2021, 122 p., 15 € / ePub : 8,99 €, ISBN : 9782807003170

zerhouni femmes empecheesLe premier roman de Leïla Zerhouni nous donne à lire les fragments de vie de plusieurs personnages qui transitent dans un lieu clé : une petite librairie tenue par une passionnée de livres, Madame Kéra, dans un village paisible de Wallonie.

Parcouru de nombreux flash-backs, le récit débute sur le décès de Madame Kéra et revient en arrière pour nous dévoiler peu à peu les histoires tissées au fil du temps autour de cette boulimique de lecture. On découvre alors Ania, la fille adoptive de la boulangère, qui, malgré une mère aimante, cherche à combler le gouffre de ses origines et de ses questions sans réponse à travers le refuge thérapeutique de la lecture.

Plus le temps passait, plus Ania se repliait sur elle-même. La rage avait laissé place à la méfiance. Elle se défiait désormais des humains et tentait de fuir la réalité de ce monde où elle avait été jetée sans son consentement. Cette méfiance développa chez elle un goût prononcé pour les belles lettres. […] Elle s’y jeta à cœur perdu, à cœur fourbu. Désormais, elle puiserait ses amis dans son imaginaire. Elle lisait, pour effacer ses muettes souffrances et s’alléger du poids de la vie. Elle lisait pour lutter contre le vide. Elle lisait, pour tromper le fracas du temps. Elle lisait, pour s’inventer un autre moi et s’imaginer autre. Elle lisait, dans l’espoir d’en apprendre davantage sur elle-même. Elle lisait, jusqu’à parfois oublier de s’alimenter. 

Madame Kéra et Ania deviennent immanquablement complices et tendent une main bienveillante à toutes les personnes qui défilent au Petit Bazar à la recherche d’un peu de douceur dans les mots et les histoires des grands auteurs. Dans cette librairie, les drames classiques d’« écorchés ordinaires » se dévoilent, tantôt avec pudeur, tantôt avec force larmes, toujours avec authenticité.

À la mort de Madame Kéra, Ania hérite tout naturellement de la librairie et c’est à son tour d’apprivoiser un petit oiseau blessé prénommé Yasmine. Lorsqu’on découvre les fêlures de cette jeune femme, on se dit qu’il n’y a décidément pas de hasard et que les deux héroïnes devaient se rencontrer (« une complicité s’installa bientôt entre ces ceux êtres qui semblaient taillés dans la même écorce, toutes deux passionnées par les mots et la mélodie des beaux textes »).

Femmes empêchées est un roman qui porte bien son nom car le fil rouge du récit est caractérisé par ces femmes qui ont décidé de ne pas être mères en avortant ou abandonnant leur enfant pour une question de survie. Ces « mères empêchées » ont opté pour une décision difficile et leurs filles abandonnées sont invitées à mener un combat non désiré.

Leïla Zerhouni ne fait pourtant pas de ses héroïnes des esclaves de leur passé inaptes à vivre à cause du choix de leurs parents. Elle nous livre un récit juste avec un style simple parsemé de quelques citations de grands auteurs, nous invitant à appréhender l’art comme une petite lumière dans la nuit, tel un guide permettant de s’appuyer sur son passé, quelque difficile qu’il soit. La brièveté du récit ne nous permet malheureusement pas de palper en profondeur les enjeux qui habitent les personnages, ce qui amoindrit la force de l’histoire.

Séverine Radoux