Philippe LEUCKX, Le rouge-gorge , Henry, 2022, 8 €, 46 p., ISBN : 9782364692336
On sait de Philippe Leuckx cette sensibilité littéraire qui vaut à la communauté des lettres de nombreuses recensions qu’il consacre à ses confrères et consœurs, poètes comme lui, trouvant parfois (souvent) difficilement accès aux rayonnages des librairies, aux articles ou aux émissions et blogs littéraires. Membre de plusieurs sociétés littéraires, il est aussi un préfacier apprécié.
Son œuvre lui a valu plusieurs prix, dont le prix Emma Martin de poésie, le prix Robert Goffin, le prix Gauchez-Philippot et le prix Charles Plisnier.
Philippe Leuckx est l’auteur d’une œuvre poétique imposante depuis Une ombreuse solitude (1994) jusqu’à ce dernier volume Le rouge-gorge, Laura et autres poèmes que publient les éditions Henry, dans la collection « La main aux poètes ».
Le recueil s’ouvre sur un texte en prose (ils le sont pour la plupart dans ce recueil) racontant l’apparition d’un rouge-gorge qui interrompt l’activité du narrateur : Le rouge gorge s’est montré l’autre jour. J’étais en train de planter les haricots. S’ensuit une méditation sur le surgissement de l’inattendu dans nos vies. Ces instants fragiles où nous gagneraient les mauvaises pensées, celles qui rongent si ne survenait le bruissement lumineux qui nous distrait de la mélancolie dense. Métaphore de l’inspiration, ou du retour de la confiance en soi, le rouge-gorge a volé au recours d’un poème patient.
Chaque poème, en prose ou en vers de ce lumineux recueil décline cette proposition initiale d’une distraction de la mélancolie, de la détresse, du vide d’inspiration qui accablent sans crier gare, le poète. Celui-ci écrit dans un texte : J’ai les mains pleines des mots que je n’aurais pas dits et il nous semble que dans les pages suivantes le poète s’attache à les retrouver, à les formuler dans ces courts récits d’instants fugaces, de lumière soudaine, d’interstices de bleu dans le gris. L’enfance n’est jamais loin qui est bellement évoquée comme des images d’été : Le train emmène vers la mer des enfants éblouis. Parfois un texte semble échappé d’un carnet de notes, et reconstitué ici : Je laisse mots pour porter trace/de ce que le temps détresse. (En marchant tout à l’heure vers la piscine de Braine… précise le poète).
Ce sont des textes polaroïds : sensations fugaces (Parfois, de la rue proche, des voix.) frappées souvent du sceau de la tristesse, du chagrin, du deuil, de la mélancolie. Le poète, pour s’en consoler ou pour les éloigner, appelle alors à la lumière, avec les mots de la rencontre, ceux que tissent/ les lèvres aux paresses de la lumière.
Laura, qui donne son nom au sous titre du recueil, est une enfant, on imagine très jeune enfant, qui apporte une part de cette lumière à laquelle le narrateur aspire : Elle sait ouvrir mon ciel/ jusqu’à ses bleus profonds/ et m’enjoindre/ d’oublier les miens/ petites blessures de rien.
Il y a aussi, et on devine une voisine de la maison au jardin potager de Braine, une petite vieille à présent absente, partie ? morte ? Au lecteur sans doute de se souvenir d’une proche enlevée à la lumière. Car c’est aussi cela la fonction de la poésie, éveiller la mémoire sensible, le souvenir intime, l’épreuve partagée dorénavant avec le poète. Entre la vie et la vie, dans la juste blessure d’un poème.
À chaque moment de ce recueil, l’énigme et l’inquiétude d’écrire surgit. Presque rien sous la paume du matin. Quelques mots déjetés. Les saisons, les mois (Le mois doux a filé), le partage des jours et des nuits, des matins et des soirs, leurs lumières propres, sont autant de vibrations pour l’écriture : Il n’est de secousse que la plume qui tranche entre les mots du matin. /parfois le ciel fait main basse. Et la lumière splendeur.
Et puis, la main posée sur la feuille invite à se souvenir de l’enfance et de ses longs dimanches de corvées à la ferme où l’enfant rêve de voyages. Il y a ces voyages imaginaires, entre deux traites, mais comment voyager décemment lorsque beuglent toutes les dix heures des vaches pantelantes de lait ! Alors le voyage se déroulait dans l’écran noir et blanc de la télévision d’alors (deux chaînes alors, la belge et l’ORTF Lille). L’enfance s’inscrit ainsi, saison en noir et blanc, à regarder des films anciens, Le long des beaux dimanches, à la frontière française, dans un village assoupi.
Mais les assauts de mélancolie, même s’ils accompagnent le poète – qui (marche) au hasard des souvenirs, grappillant les pépins d’une haute mémoire, sachant ensacher ces grains de pure beauté pour les jours de famine – laissent place à l’enfant :
La petite Laura est une illumination
Jean Jauniaux
Agenda
- Philippe Leuckx sera présent au Salon des littératures singulières le dimanche 20 mars :
- De 14h à 15h : il présentera Frères de mots, recueil co-signé avec Philippe Colmant (Le coudrier) dans le cadre d’une rencontre autour du thème Poésie singulière. Animée par David Courier, la rencontre réunira Laurence Vielle (Zébuth ou l’histoire ceinte, Espace Nord), Philippe Leuckx (Frères de mots, Le Coudrier) et Tristan Alleman (Avoir fleurs, Cactus inébranlable)
- De 15h à 17h : dédidaces