Langue en mouvement

Laurence VIELLE, Zébuth ou l’histoire ceinte suivi de L’Imparfait, Postface d’Alice Richir, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 240 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-551-3

vielle zebuth ou l histoire ceinteQuand la littérature creuse un espace mental, un espace physique et verbal au plus près des souffles de la vie, cela produit des objets textuels construits sur une proximité du verbe et des nerfs, des mots et de la sève. La voix de la poétesse, dramaturge et comédienne Laurence Vielle se tient dans cette inventivité créatrice qui dénude la trame de la langue pour en jouer sensoriellement. Avec son titre placé sous le signe d’un détournement humoristique de l’histoire biblique, Zébuth ou l’histoire ceinte nous mène dans un récit des confins, de la défaisance de la narration et de la cohérence existentielle.

Amputé de Bêl — un personnage féminin qui sera retrouvé sans vie devant une Fenêtre ouverte —, Zébuth se dresse comme un personnage beckettien, inadapté au moule social, évoluant dans un labyrinthe géographique et mental. Que fait-on quand on renonce à se donner la mort, que les lois mondaines sont absurdes ? La quête désorientée intime de partir à la recherche des Fenêtres, d’une brèche qui mène au dehors du dédale, au dehors de la Matrice, qui rompe avec l’enfermement. La langue doit quitter le cimetière des mots, s’arracher à la tentation du suicide et danser dans une diffraction de textes qui hybrident poésie et prose, récit et anti-récit, tableaux trempés dans l’enfance et visions oniriques.

Du Dieu des mouches, du démon Belzébuth ne reste que Zébuth qui a perdu Bêl, de la cosmogonie ne demeure qu’une parodie d’impossible Genèse. Le défunt jardin d’Éden est devenu une cité close sur elle-même qu’Alice Richir, dans son éclairante postface, rapproche des mondes picturaux de Bosch, de M.C. Escher ou de Schuiten-Peeters.

Ils restèrent six jours et six nuits devant la Fenêtre qui laissa passer beaucoup de vent, beaucoup d’oiseaux, des milliers d’oiseaux (…) Il [Zébuth] vit le soleil se lever, le soleil se coucher. Il vit la lune, les éclairs et les nuages, les nuages qui découpent le ciel, incongrus, les nuages-cloportes, les nuages-réverbères, les nuages-oiseaux, les nuages-champignons, les nuages-Bêl. 

Une langue qui bêle et qui zébulone, qui croise Zébuth et Zébulon, c’est une langue rendue à son aurore, qui ne s’interdit rien, qui ne recule devant aucun court-circuit d’images ou de sensations, devant aucun délire du verbe. C’est ce verbe qui sort de ses sillons, qui ne répond qu’à l’énergie de l’imaginaire que Marcel Moreau a vu dans l’art de Laurence Vielle, qu’il a célébré dans son avant-propos au recueil poétique L’Imparfait. Les mots de Laurence Vielle ne tiennent pas en place, prolongent un corps qui danse, un corps qui déserte le monde des adultes et l’organigramme social. D’un livre à l’autre, les personnages pérégrinent, aussi trépignants que les phrases. Adam et Ève sautent de Zébuth ou l’histoire ceinte au recueil poétique. Zébuth saignait son histoire peu sainte de la question « que faire quand on a repoussé l’appel de la mort ? ». Construit autour du suicide d’un ami, L’Imparfait explore la disparition d’une être cher, la pensée qui tente de se remettre en marche après la perte de Bruno.

J’aime les heures à attendre entre deux trains
dans des villes connues ou inconnues
peu importe, elles sont toutes les mêmes alors
c’est la pensée qui respire entre deux vies
entre deux destinations

La déroute, la déconstruction de la logique résonnent comme la petite musique de fond des deux textes. À l’instar de ses personnages, Laurence Vielle écrit, déclame et performe à la pointe d’une fusion avec le règne animal, le règne végétal, les créatures non-humaines. Ils échangeaient des paroles d’écureuils. L’omniprésence des oiseaux, du vent, des mouvements giratoires, aériens s’accompagne de corps qui se balancent, qui se taillent une déambulation faite de doutes. Par ce verbo-dynamisme, l’œuvre de Laurence Vielle révèle l’énergie et le rythme qui la nourrissent : le frayage d’une écriture qui recueille conjointement l’apparition du monde et l’avènement d’un espace textuel.

Véronique Bergen

Agenda

  • Laurence Vielle sera présente au Salon des littératures singulières le dimanche 20 mars :
    • De 14h à 15h : elle présentera Zébuth ou l’histoire ceinte dans le cadre d’une rencontre autour du thème Poésie singulière. Animée par David Courier, la rencontre réunira Laurence Vielle (Zébuth ou l’histoire ceinte, Espace Nord), Philippe Leuckx (Frères de mots, Le Coudrier) et Tristan Alleman (Avoir fleurs, Cactus inébranlable)
    • De 15h à 16h : dédidaces

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