Ultimation du présent

André DOMS, Anachroniques, Herbe qui tremble, 2021, 146 p., 18 €, ISBN : 978-2-491462-22-2

doms anachroniquesAnachroniques est le deuxième volet d’un diptyque, cette fois consacré au temps lorsque le premier, sorti un an plus tôt, fut spatial : Topiques pour le monde actuel. Alors, en vue de cette deuxième recension, je me suis rendu chez l’auteur à Wépion. C’était fin janvier et André Doms m’a d’emblée conduit dans son jardin pour me montrer, fier et ravi, son hamamélis en fleur ; ce qui n’arrive qu’une fois l’an en plein hiver. Ses fleurs sont autant de petits feux végétaux jaunes dont les pétales explosent en traits d’oursin depuis un noyau de velours bordeaux.

Le jardin en terrasses embrasse et surplombe un ancien fenil aménagé, dont les murs épais de grosses et lourdes pierres gris-bleu ne craignent rien des mouvements et humeurs de la Meuse en contrebas. Ainsi, la maison est un havre de paix totale pour l’homme de 89 ans, ancien professeur de français et d’espagnol à Schaerbeek, dont l’activité principale est désormais de lire et d’écrire. Ceci se sent très énergiquement dans ce nouvel opus qui prend la même forme que le premier : des textes courts comme de grands paragraphes clos et entiers, qu’il est possible de lire indépendamment les uns des autres.

L’oracle serait-il acculé au silence ? La poésie obsolète, dorénavant sans intérêt ? Le désarroi humain mondialisé, et soudain accru par les pandémies, ne s’adresse plus à une mort proche, privée, presque domestiquée, mais à des génocides, effondrements successifs et enchevêtrés — par force ou sénescence ? –, à des anéantissements qui, fasciné et impuissant, l’esprit en vient à se figurer comme la phase ultime, l’épuration radicale, via le cataclysme planétaire ou la progressive dissolution, immense brasier ou lente montée des eaux.

La maison et l’auteur, plus que coquets, contrastent vivement avec le propos des anachroniques. Les textes, imprimés dans « un format qui respire pour compenser la sévérité des mots », sont d’abord manuscrits sur un A5 tout blanc, d’une pointe de crayon précise, petite, serrée et appuyée. Ils sont souvent inspirés de notes de lectures et de très nombreux ponts entre elles. De sorte que les références et sources abondent, donnant austérité et autorité au discours, fruit d’un travail d’écriture assidu et incessant.

On se trompe rarement quand on se contredit : cet aphorisme n’ouvre pas la porte aux stupides contradictions formelles, aux affirmations mensongères que multiplient sans honte les politiciens actuels ; en fait, il nous recentre sur l’histoire : les temps de l’homme furent souvent maussades. Avant tout marqués par l’incompréhension et la peur.

Causeries figure sous le titre du livre, parce que l’auteur écoute attentivement ce qu’il lit, puis il écrit pour être entendu à son tour. Un message à la fois central et global anime sa réflexion et sa plume : « Je fais appel au lecteur pour une prise de conscience personnelle, individuelle. C’est un appel explicite tout en étant ouvert à l’interprétation. Le danger est de ne pas se rendre compte de son propre isolement, illusionné par l’accès que nous avons au monde et sa représentation actuelle ».

Illusionné ? Ultime état ayant largement notre préférence et qui promet notre perdition.

Tito Dupret