Nicolas GRÉGOIRE, Désastre ravalé / ravaler désastre, dessins de Pauline Emond, Æncrages & Co, coll. « Ecri(peind)re », 2022, 21 €, ISBN : 978-2-35439-110-2
« une de mes colères brusques
j’ai écrit d’abord père à la place du mot colère »
D’une implacable dureté, le recueil Désastre ravalé / ravaler désastre de Nicolas Grégoire creuse le mouvement de « relire, redire, encore ». Pour tenter d’affronter un effondrement, pour tenter d’élucider un désastre sur lequel se cogne tant le réel que le travail de la parole.
Le nœud coulant de cet effondrement, son noyau, n’est autre que la relation violente à un père alcoolique et l’insoutenable difficulté de « dire autre chose de soi-même » qui ne soit irrémédiablement apposé du sceau de ce désastre, de dire quelque chose qui ne soit pas sans cesse ramené à cet épicentre. Parmi les débris du soi et d’une relation qui s’est ainsi délitée dès le départ, qui tel un verre s’est éclatée en mille morceaux sans pouvoir être contenue, on constate en effet que le désastre « a eu lieu », comme l’écrit Marc Dugardin dans la préface à ce recueil, a été « avalé, donc, une première fois, le désastre. Puis ravalé, des tas de fois ». La pensée et les mots sont ainsi pris au piège d’une circularité intenable que le travail de l’écriture, buté et obstiné, tente de briser.
Les champs sémantiques – les cercles concentriques, plutôt – de la parole de Nicolas Grégoire dans le présent recueil sont ceux de l’échec, de la destruction (où le verbe réalise parfois le geste de « tordre », de « serrer » jusque dans les marges de la page) et de la réflexivité. Ainsi, l’écriture serait-elle un exutoire ? Une issue de secours ? Une recherche d’apaisement ? Un travail de raccommodage ? Une sublimation de la douleur ? Une prise d’otages ?
Absolument rien de tout cela, chez Nicolas Grégoire : l’écriture est une nécessité impérieuse. Nous le sentons, elle est une impossibilité de faire autrement que tenter d’interroger précisément sa puissance face à la destruction, quand bien même serait-elle consciente de son indubitable échec.
Les mots sont durs, rudes, aussi rugueux que les « images qui s’impriment », les images du père et de sa « bouche de cadavre ». Au milieu du recueil viennent également s’imprimer les dessins de Pauline Emond qui a, comme l’explique Marc Dugardin, « recopié le texte, l’a inversé, l’a retourné, pris à rebours – à son tour, ravalé ? ». C’est, ainsi, dans un mouvement de mise à l’envers, de négativité (comme on parle, en photographie, d’une « image en négatif ») que se lisent les deux parties qui composent ce recueil. La première est une suite de poèmes oscillant entre prose et vers, tandis que la seconde rassemble notes et poèmes datés entre août et octobre 2018, dans un rythme plus précipité, au bord du précipice césuré par la mort du père.
« Je suis face à un nœud qui résiste alors » : implacablement, par l’écriture, Nicolas Grégoire en dénoue les fils de trame et les fils de chaîne, sans cesse noués et renoués. Malgré lui.
Charline Lambert