Archives par étiquette : père

Et si le diable avait un frère… et trois enfants ?

Jean-Marc RIGAUX, L’Itoi, Murmure des soirs, 2024, 235 p., 22 €, ISBN : 978-2-9312-3518-8

rigaux l'itoiD’abord remarqué comme nouvelliste, dans la revue Marginales et trois recueils édités entre 2012 et 2018, Jean-Marc Rigaux, en 2020, avait enthousiasmé avec Kipjiru 42…195, un thriller littéraire, puissant et sophistiqué. Et voici venir son deuxième roman, chez Murmure des soirs, une très belle enseigne qui le publie depuis ses débuts. Continuer la lecture

Lever l’encre

Catherine BARREAU, Tes cendres, Arbre de Diane, coll. « Les deux sœurs », 2023, 81 p., 15 €, ISBN : 978-2-9300822-27-3

barreau tes cendresL’écriture intensément poétique de Catherine Barreau s’affranchit du romanesque. Après quatre romans – dont La confiture de morts primé par le Rossel en 2020 –, l’autrice publie, dans la collection « Les deux sœurs », aux éditions L’arbre de Diane, son premier recueil de poèmes, d’une incandescence qui ressuscite d’entre les mots.

Ta
Mort
Pendant
le Grand
Confinement
À bout de souffle court
Pas de visite Pas de virus Pas d’emmerdeur […]
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From Nora with love

Geneviève DAMAS, Strange, Grasset, 2023, 177 p., 18,5 €, ISBN : 978-2-246-83497-7

damas strangeAprès plusieurs mois sans l’avoir vu, Raphaël s’apprête à recevoir la visite de son père. Ces retrouvailles, il les appréhende. Non pas qu’il n’ait pas envie de le voir, loin de là. Seulement, le voilà obligé de révéler ce qu’il lui a caché jusqu’ici. Ou plutôt ce qu’ELLE lui a caché. Car ce que le père ignore encore, c’est que c’est en fait Nora, sa fille, qu’il va rencontrer. Raphaël n’a pas seulement quitté Arlon pour Bruxelles, il a également dit au revoir à une identité et une apparence auxquelles il se sentait étranger, pour faire connaître au monde la femme qu’il s’est toujours senti être, celle qu’elle est désormais : Nora. Continuer la lecture

Musique des cœurs et des rancœurs

Maureen DOR, Concert au réfectoire à 16h30, Buchet Chastel, 2023, 254 p., 19,9 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-283-03849-9

dor concert au refectoire a 16h30Bernard Verrat à la ville est Hervé Vincent à la scène. Pas celle de grandes salles, non. Celle que son assistante de fille lui installe dans les maisons de retraite où il donne des récitals tout au long de l’année. Voilà 25 ans que cet ancien chef d’entreprise s’est reconverti en crooner après avoir tout perdu. Et même si ses concerts ont lieu à 16h30, il ne ménage pas ses efforts pour plaire à son public du troisième âge. Depuis cinq années, sa fille Lydie l’a rejoint à bord de la camionnette aux lettres dorées « HERVÉ VINCENT, LA MUSIQUE DES CŒURS, LA MUSIQUE AU CŒUR » et sillonne la France avec lui. Elle a même agrémenté le show d’un moment très apprécié des spectateurs, le clou du spectacle : une tombola un rien particulière, avec tirage au sort quelque peu trafiqué. Car si le gagnant, ou plus probablement la gagnante, pouvait à son tour se montrer généreux avec le chanteur, Lydie se rapprocherait de son rêve d’une autre vie, dans la luxueuse maison de son enfance. Continuer la lecture

Le livre du père

Mehtap TEKE, Petite, je disais que je voulais me marier avec toi, Viviane Hamy, 2022, 256 p., 18,90 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-38140-024-2

teke petite je disais que je voulais me marier avec toiLa rentrée littéraire 2022 accorde une large place aux premiers romans : 90 sur les 345 romans francophones annoncés, selon le décompte de Livres Hebdo. Mehtap Teke est l’une de ces nouvelles plumes à découvrir. Paru aux éditions Viviane Hamy, Petite, je disais que je voulais me marier avec toi conte l’histoire d’un homme qui, dans l’espoir d’une vie meilleure, quitte sa Turquie natale pour l’Europe occidentale.

Le roman est presque entièrement écrit à la deuxième personne du singulier : si la narratrice, une jeune femme, raconte l’histoire de son père, elle la raconte aussi à son père. Et retrace le parcours de vie d’un enfant pauvre né en Turquie, retiré tôt de l’école où il excellait. Arraché à ses rêves intellectuels, il est contraint de travailler dans les champs de coton avec son père, puis de quitter son pays d’origine pour rejoindre l’Europe occidentale, en quête d’une vie meilleure. Là-bas, il besogne sur des chantiers de construction, devient père d’une famille nombreuse. Avec une obsession : offrir à ses filles les possibilités et l’aisance sociale et financière dont il a été privé. Continuer la lecture

Le cri des baleines échouées

Eva KAVIAN, L’engravement, La contre-allée, 2022, 174 p., 18 €, ISBN : 978-2-37665-034-8

eva kavian l'engravementDans son nouvel opus, Eva Kavian nous donne à lire des fragments de vie de personnages qui se croisent dans l’allée menant à un asile psychiatrique où leur enfant est admis suite à une tentative de suicide. Nous sommes amenés à palper le quotidien de ces êtres dont la vie s’est arrêtée, ponctuée par les visites et marquée par la fin de la tranquillité. Ces parents désormais obsédés par leur enfant en rupture avec la vie sont traversés par des émotions très fortes : ballotés entre la colère, le chagrin, la honte, la culpabilité et un profond sentiment d’impuissance, ils apprennent les vertus de la patience et de l’espoir ténu. Au bord de l’épuisement, nous les voyons lutter pour « vivre avec ». Continuer la lecture

Nicolas Grégoire : « vie malgré lui »

Nicolas GRÉGOIRE, Désastre ravalé / ravaler désastre, dessins de Pauline Emond, Æncrages & Co, coll. « Ecri(peind)re », 2022, 21 €, ISBN : 978-2-35439-110-2

« une de mes colères brusques
j’ai écrit d’abord père à la place du mot colère
 »

gregoire desastre ravale ravaler desastreD’une implacable dureté, le recueil Désastre ravalé / ravaler désastre de Nicolas Grégoire creuse le mouvement de « relire, redire, encore ». Pour tenter d’affronter un effondrement, pour tenter d’élucider un désastre sur lequel se cogne tant le réel que le travail de la parole.

Le nœud coulant de cet effondrement, son noyau, n’est autre que la relation violente à un père alcoolique et l’insoutenable difficulté de « dire autre chose de soi-même » qui ne soit irrémédiablement apposé du sceau de ce désastre, de dire quelque chose qui ne soit pas sans cesse ramené à cet épicentre. Parmi les débris du soi et d’une relation qui s’est ainsi délitée dès le départ, qui tel un verre s’est éclatée en mille morceaux sans pouvoir être contenue, on constate en effet que le désastre « a eu lieu », comme l’écrit Marc Dugardin dans la préface à ce recueil, a été « avalé, donc, une première fois, le désastre. Puis ravalé, des tas de fois ». La pensée et les mots sont ainsi pris au piège d’une circularité intenable que le travail de l’écriture, buté et obstiné, tente de briser. Continuer la lecture

Marcher sur son père

Marc MEGANCK, Marcher Noir, Chroniques du monde confiné, 180° éditions, 2021, 118 p., 17 € / ePub : 7,99 €, ISBN : 978-2-940721-01-6
Marc MEGANCK, Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot, F Deville, 2021, 282 p., 20 €, ISBN : 978-2-875990-51-8

meganck marcher noir

Avec un mois d’écart, Marc Meganck publie deux titres qui partagent des thèmes devenus propres, ayant développé pour lui-même toutes les qualités d’un anti-héros : un beau quadra inquiet du temps qui passe dans une société qui le dépasse à grande vitesse. Or cet état lui permet de parfaire son art subtil de la dépression tranquille, animée d’une passive lucidité souffrant, oui, souffrant, de sympathie et d’empathie pour le monde qui l’entoure directement. Continuer la lecture

Au nom du père… et de toute la famille

Un coup de cœur du Carnet

Luc LEENS, Le père que tu n’auras pas, Quadrature, 2022, 129 p., 16 €, ISBN : 978-2-931080-20-7

leens le pere que tu n'auras pasPère absent, père décédé, père légitime, père naturel, père inconnu, « père » comme titre religieux, père maltraitant, père aimant, père dont on s’éloigne… figures paternelles… patriarcat aussi. Et puis les femmes ! Les épouses, les mères, les grands-mères, les filles, les amours passionnées, contrariées, secrètes ou affichées. Et leurs suites… Parce que si chacune des douze nouvelles a un rapport plus ou moins évident avec la thématique paternelle annoncée dans le titre, c’est toujours le lien qui est au centre de l’histoire. Les liens du sang, avec un père retrouvé ou découvert, avec une grand-mère rencontrée ou une mère révélée sous un jour nouveau. Les rapports amoureux, de jeunesse, éphémères mais à l’empreinte indélébile, dans la tête et plus si affinités ; ou au long cours, « jusqu’à ce que la mort nous sépare ». Les relations amicales capables de changer une vie ou d’adoucir la douleur. Toutes ces connexions entre hommes, entre femmes, entre hommes et femmes, qui déterminent la place de chacun dans la société, et participent à son identité, toujours fruit d’un parcours unique et personnel. Continuer la lecture

Balance ton père !

Francisco PALOMAR CUSTANCE, Le fils du matador, Diagonale, 2021, 233 p., 18,50 , ISBN : 978-2-930947-02-0

custance le fils du matador« Rodrigo grimpait à toute vitesse la pente qui le conduisait au cimetière. Tout droit vers la proue du navire. L’éperon prétentieux qui surplombait les jardins et l’ensemble des logements sociaux (…). »

Le jeune garçon (onze ans) s’apprête à réaliser un happening oscillant entre délinquance et affirmation : peindre en rouge Ferrari une tombe visible depuis chez lui. Ses multiples incartades le mettent au ban de la société du coin, de l’école, de la famille ? Le héros de notre roman n’en a cure. Seul lui importe de devenir un jour matador, comme son père et son grand-père. Et peu lui chaut d’être doué pour le dessin ou le chant. Être matador ou rien. D’où l’école buissonnière, le cimetière transformé en arène, un chien ou un engin de fortune adaptés pour jouer les taureaux. Continuer la lecture

Au-delà de la Chine

Anne ROTHSCHILD, Au pays des osmanthus, Frontispice de Sylvie Wuarin, Taillis Pré, coll. « Essais et témoignages », 2020, 96 p., 14 €, ISBN : 978-2-87450-171-5

rotschild au pays des osmanthusLe nouveau livre d’Anne Rothschild relève d’un genre que, en notre époque de mondialisme instantané, on pouvait croire un peu oublié : le récit de voyage. Il relate le périple effectué dans le sud de la Chine en septembre 2018 par l’écrivaine-artiste et une amie, sans doute Sylvie Wuarin dont un beau dessin fait seuil au volume. On devine d’emblée le risque d’un tel projet, accru par l’ignorance de la langue locale et le recours à une interprète : « acclimater notre inconnaissance de l’Asie grâce à des langages connus » (R. Barthes, L’empire des signes). A. Rothschild y échappe-t-elle ? Un premier niveau du texte, le journal d’une touriste européenne, est nourri d’anecdotes, d’observations, d’échanges aimables mais sommaires avec les autochtones. Partout l’eau est présente : pluie, rivières, nuages, lacs, à quoi se conjuguent étroitement le monde végétal – rizières, bambous, lotus – et l’insistant motif de l’horizon montagneux. Un modèle familier assure la cohérence des notations : celui du « paysage », de la « vue » pittoresque. Proche de l’imagerie chinoise traditionnelle, le réseau des notations visuelles présente en effet un aspect quasi « pictorialiste », comme le genre photographique bien connu : « je marche dans des estampes / où passe parfois la figure d’un mandarin. » S’y entremêlent des touches olfactives et gustatives plus sensuelles : le parfum entêtant de l’osmanthus, celui du camphrier, les victuailles odorantes et colorées sur les étals des marchés, et surtout les repas aux subtiles combinaisons sucré-salé, aigre-doux, chaud-froid… Continuer la lecture

Décomposition paternelle

Un coup de cœur du Carnet

Stéphane MALANDRIN, Je suis le fils de Beethoven, Seuil, 2020, 19.50 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 978-2-02-146347-7

Remarqué pour Le dévoreur de livres (2019), Stéphane Malandrin a impressionné plus d’un lecteur par ses qualités de jongleur de mots et son imaginaire coloré qui lui ont sans doute valu d’être sélectionné pour le prix Goncourt du premier roman. Voici que cet homme de cinéma franchit avec Je suis le fils de Beethoven le cap réputé périlleux du second sans rien avoir perdu de sa verve et nous entraîne sur les traces du grand compositeur allemand par le récit de celui qui se présente comme son fils, Italo. Mais comme cet enfant en quête de racines ne porte pas le nom du génie musical, il nous gratifie d’un aperçu de la vie de ses ancêtres Zadouroff. Continuer la lecture

La famille sur l’estomac

Patrick ROEGIERS, La vie de famille, Grasset, 2020, 173 p., 16,50 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 9782246816195

Après quantité d’essais et de romans, sur l’art sous toutes ses formes et sur les mythologies, grandes et petites histoires du Plat pays, le nouveau roman de Patrick Roegiers, La vie de famille, marque une rupture (et on verra que le mot n’est pas vain). Ce livre est probablement le plus personnel, le plus intime (comme on le dit d’un journal), le plus engagé de l’écrivain aux plus de cinquante titres. Un roman autobiographique sur « la trame inaliénable de l’enfance ». Continuer la lecture

Une étoile solitaire à la recherche de la rédemption

Un coup de cœur du Carnet

Martine ROUHART, Les fantômes de Théodore, Murmure des soirs, 2020, 116 p., 16 €, ISBN : 978-2-930657-60-8

Comme tous les dimanches, Charlie rend visite à son père Théodore. Ces deux-là sont unis par une belle complicité où les mots sont superflus : contemplatifs, ils aiment se gorger des petites contingences de la vie. Continuer la lecture

Entre ici, Marie Denis…

Un coup de cœur du Carnet

Marie DENIS, L’odeur du père, Névrosée, coll. « Femmes de lettres oubliées », 2019, 110 p., 14 € / ePub : 8.99 €, ISBN : 978-2-931048-20-7

Il est des textes qui, une fois lus, se déposent en vous, et mènent dans les tréfonds de votre sensibilité un lent travail d’irrigation phréatique, dont l’impact réel peut prendre des mois, des années à se mesurer. Ainsi, immanquablement, L’odeur du père de Marie Denis, publié pour la première fois en 1972 chez le très confidentiel Robert Morel – qui proposait des petits ouvrages d’un format atypique, tout cartonnés de blanc, et où le texte commençait à même la première de couverture… Continuer la lecture

Dominique Loreau. Quête et impossibles retrouvailles

Dominique LOREAU, Motus, Tandem, Coll. « Alentours », 2019, 64 p., ISBN : 978-2-87349-137-6

Comment survivre à un père mort ? Comment se sauver du néant, reconquérir le fil qui s’est rompu entre le père et soi, entre soi et soi ? Dans Motus, un recueil de textes poétiques rythmés par des photographies, la cinéaste et poète Dominique Loreau tend l’oreille à ce que son père, le philosophe Max Loreau, lui a légué, à ce qu’il a transmis comme impossible. Les textes sondent une énigme, tournoient autour d’une absence, d’un éloignement que viendra sceller la mort du père. Motus et bouche cousue, motus et lèvres qui mettent en mots la béance, le manque… Dominique Loreau lance une lettre au père, moins dans la veine de celle de Kafka que sous la forme d’une quête et d’un combat. Max Loreau (1928-1990), le philosophe qui renouvela la phénoménologie, qui fit de la peinture, des arts le kairos d’une autre pensée, Max Loreau, professeur à l’ULB, auteur d’une œuvre innervée par la question des commencements, se voit reconnecté à son « motus », au mouvement interne qui, commandant sa vie, impulsa sa pensée. Continuer la lecture