Dans les bras de morphine

Barbara ABEL, Les fêlures, Plon, 2022, 432 p., 20 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 9782259307628

abel les feluresGarance et Roxane sont inséparables. La première, l’aînée, protège sa sœur depuis toujours, elles partagent les confidences, et, surtout, elles font ensemble front face à Judith, leur mère, que l’alcool rend souvent folle de rage. Depuis quelques temps, leurs liens se distendent : leur mère est décédée, et Roxane s’est éprise de Martin dont elle partage la vie. Pourtant, lorsqu’un appel au secours arrive sur son portable, Garance se précipite et elle trouve sa cadette étendue aux côtés de Martin. Les secours appelés constatent le décès du jeune homme, Roxane est emmenée en ambulance et revient à elle. Saisie de l’affaire, la police conclut à un décès du jeune homme par arrêt cardiaque suite à une injection de morphine et les soupçons se portent sur Roxane, qui est étudiante en médecine. Mais les analyses révéleront que la dose de morphine ne pouvait suffire à provoquer le décès. Le mystère reste donc entier et il va persister jusqu’à la fin de l’intrigue.

Entretemps, le récit rebondit à plusieurs reprises. Tout d’abord à l’initiative de Garance, qui est décidée à dénouer le mystère et qui revisite par le menu le déroulé des derniers mois, n’hésitant pas à interroger les amies de sa sœur, mais aussi le voisinage et surtout la mère de Martin. Originaire d’une famille fortunée et appelé à reprendre l’affaire familiale, l’amoureux de Roxane était sous l’emprise de sa mère qui dirige l’entreprise depuis la mort de son mari. Son projet de devenir écrivain s’en est trouvé bridé, il n’était plus que l’ombre de lui-même.  Est-ce là qu’il faut chercher ? Nous aurons des informations complémentaires via des retours sur l’enfance de Roxane et de Garance, mais aussi par l’évocation de séquences de la vie du jeune couple ou de celles, isolées, de Roxane et Martin. Partout, des indices, des secrets débusqués, des sources d’inquiétude, mais jamais de quoi nourrir des certitudes, jusqu’à ce que le passé récent et plus ancien confondus esquissent une piste, que des aveux écrits confirmeront in extremis.

Une fois de plus, Barbara Abel excelle à développer des intrigues haletantes dans la sphère de l’intime. Y contribuent la proximité du danger, qui situe la narration dans la scène privée, ce terreau universel, et le fait que l’autrice creuse au plus profond et au plus sombre de la nature humaine. Le parcours de chaque personnage est passé au peigne fin et personne n’en sort indemne, quelles que soient les apparences, la force des liens affectifs  ou les stratégies de défense mises en place. La mécanique narrative est bien huilée et ses ressorts puissants fonctionnent à merveille, multiples et variés, entretenant la tension sans répit tout au long des 420 pages que compte Les fêlures. Si l’on ajoute à ceci que le texte peut s’appuyer sur une écriture claire et efficace, des dialogues vifs et ciselés et un découpage bien rythmé, on comprendra sans peine que ce nouveau roman a de quoi ravir à coup sûr les inconditionnels du genre et, partant, le public large que l’autrice a su conquérir.

Thierry Detienne

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