Julia GALASKI, Le passeport, Étaques, 2022, 368 p., 18 €, ISBN : 9782490205110
Une jeune étudiante en Sciences Po part un an à Jérusalem pour étudier le conflit israélo-palestinien et apprendre l’arabe. Née d’un père franco-israélien et d’une mère allemande, elle a des racines multiples, notamment en Israël où vit la plus grande partie de sa famille paternelle. Elle a été éduquée en allemand dans les traditions chrétiennes. Chaque été, elle part en Israël pour les vacances. Cette fois c’est différent : elle voyage seule. Elle apprend quelques jours avant son départ qu’en tant que fille d’Israélien, elle bénéficie de la nationalité israélienne et reçoit un passeport. Ce bout de papier lui causera quelques soucis.
L’été de son départ, en 2006, la guerre fait rage. Israël mène une offensive contre le Hezbollah libanais. Le conflit va se rappeler à elle tout au long de son périple. Elle va être confrontée à la peur des uns et des autres, à l’engagement militaire d’une part de ses amis et proches israéliens, à la dichotomie oppresseurs/oppressés, occupants/occupés, à l’ignorance des cultures de part et d’autre, à la haine des nationalistes dans les deux camps. Son passeport israélien lui donnera des sueurs froides lors d’un voyage en Égypte. Même si elle ne montre parfois que son passeport allemand, ce document fait d’elle, dans certains pays ou régions arabes, une persona non grata. De plus, de quel droit obtient-elle un passeport d’un claquement de doigts alors que les Palestiniens peuvent aller se rhabiller ? Elle se sent comme une imposteuse. Elle ne veut plus de ce passeport qui lui rend les frontières tangibles. Mais elle étudie, coûte que coûte, d’abord l’hébreu, puis l’arabe, et essaie autant que possible de s’immerger dans les deux cultures. L’accès à la Palestine n’est pas facile, mais elle se rendra à Ramallah. Parviendra-t-elle à côtoyer totalement les deux cultures pendant son année là-bas ? Ne devra-t-elle pas se rendre à l’évidence que la faille, la rupture est trop grande, que ces deux mondes entretiennent indéfiniment la haine de l’autre ? Pourtant ne prient-ils pas tous le même dieu ?
En Israël, elle retrouve sa mamie Claudine. La culture arabe n’est pas juste un sujet d’étude pour la narratrice. Elle la porte aussi en elle. Sa grand-mère est née dans le monde musulman, en Algérie, en 1930, de parents juifs marocains, et est arrivée en France en 1936 pour partir vivre en Israël dans les années 1960. La suite du roman emmène la narratrice, en septembre 2009, à Rabat où elle trouve un stage puis un emploi dans une fondation allemande. Elle ira jusqu’en Algérie sur les traces de ses ancêtres. Au Maroc, elle fait face à d’autres types d’oppression, notamment celle du pouvoir face aux dissidents, à la montée des islamistes, ainsi qu’à la place des femmes dans la société, à l’étouffement du désir et au sentiment d’impuissance. La narratrice arrivera-t-elle à renouer avec ses racines et à dire haut et fort d’où elle vient ?
De Bruxelles à Jérusalem, de Paris à Rabat, en passant par Ramallah, Hébron, Nancy, Alexandrie, Alger, Oran… l’autrice Julia Galaski offre un regard intéressant sur le conflit israélo-palestinien, sans toutefois jamais juger un « camp » plus qu’un autre. Au contraire, c’est l’humanisme qui vainc malgré toutes les dissensions ou les a priori. Des humains se rassemblent et apprennent à se connaître au-delà de leurs différences. Le roman explore également le sentiment d’appartenance et l’omnipotence des papiers.
Cette autofiction met en scène une jeune narratrice dont on ne connaîtra jamais le nom. La narration en « je », la précision de certains souvenirs, les questionnements abordés dans le roman nous font pressentir la proximité entre l’autrice et son personnage principal. La grande Histoire se mêle sans cesse à la petite, celle de cette jeune fille venue percer le mystère de ses origines multiples et complexes.
L’écriture riche et fluide nous fait voyager dans différentes cultures à travers des mots de vocabulaire. Le roman est structuré en chapitres, chacun possédant un titre, un lieu, un mois et une année. Le passeport est publié aux éditions Les étaques, dont les livres mêlent l’intime et le politique, la littérature et les sciences sociales, et portent « la voix et la mémoire de celles et ceux qui en sont dépossédés ».
Le premier roman de Julia Galaski, sur un sujet ô combien sensible et complexe, est fort réussi.
Émilie Gäbele