Fabien ABRASSART, Vers la joie, peintures de Jean DALEMANS, L’herbe qui tremble, 2022, 81 p., 15 €, ISBN : 9782491462109
Quatre rouleaux pour une marée de mots. Quatre rouleaux-chapitres mus par les replis des vagues absentes, peut-être sur les berges de la Mer Morte, aux alentours de Qumrân et qui forment l’ossature du dernier recueil de Fabien Abrassart, Vers la joie. Poète discret et exigeant, auteur de quatre livres en 20 ans, il semble approfondir ici une réflexion entamée dans son précédent livre, Si je t’oublie, publié en 2017 chez le même éditeur. Quelle poésie, quels mots pour dire l’atrocité, pour parler après l’atroce ? Comment repousser, repenser le néant avec les mots de la tribu ?
Fabien Abrassart cherche une langue qui puise aux seuils de l’indicible pour parvenir à faire entendre ce que l’on ne dit pas ou plus. En puisatier, le poète fouaille la langue pour en faire jaillir ce qui de prime abord semble aphone. Aphone à force de taire les claudications et les angoisses d’un réel tournant à vide. La densité de l’écriture, déjà relevée dans les précédents ouvrages, provient entre autres de l’organisation même du recueil, blocs de textes compacts où l’absence de ponctuation et l’abondance de figures de rupture (anacoluthe, parataxe) entretiennent une forme d’ésotérisme. Mais le vacarme nihiliste du temps ne cesse jamais vraiment, il parvient toujours à s’immiscer dans les creux laissés par l’écriture-rituel, à en perturber le chant.
La guerre au-dedans recherche une issue et le tueur sans le savoir attend le bel amour des matelots carbonisés flottent les civières le long d’une station autrefois de métro
Éclats de réel qui surgissent dans le temps du poème méditatif, qui l’égratignent, qui le font vaciller. Les psaumes d’Abrassart sont comme écorchés par la fuite du temps. Un temps linéaire auquel il convient d’opposer le cycle temporel de la mémoire, du rite, des mythes et des légendes, et où la mort dès lors n’est plus seulement dramatique.
Depuis la genèse un œil de baleine en rotation dans l’espace et le frère et la sœur démultipliés l’espèce à merveilles
Je témoigne de cette époque où chacun négocie avec son cadavre évitant les sentiers étroits le pire ayant son autoroute
Emmené par une circularité naturelle et immuable, le poème échappe au « temps des assassins », il s’apostrophe lui-même dans la solitude de la méditation, inscrit son propre temps sur la surface du rouleau. Parole poétique tournoyante. Au milieu du chaos inévitable, le poète reste seul en quelque sorte en quête d’une lumière sereine et lénifiante. Il sait l’ordre récurrent des choses, il suit Valéry sur « la mer, toujours recommencée ». Il sait qu’il part pour longtemps mais connait le chemin du retour, suivant le sens des mots, leur lumière, en route malgré tout vers la joie.
La lumière a pensé le jour en y cachant la joie et ton absence la belle étoile qui nous couve
Tes chevilles qui maintiennent le monde il en va de la stabilité des formes brèves
La grande marée du verbe où réapprendre ta solitude
Rony Demaeseneer