Fuir et suivre

Jacques VANDENSCHRICK, Tant suivre les fuyards, Cheyne, 2022, 64 p., 17 €, ISBN : 978-2-84116-318-2

vandenschrick tant suivre les fuyard« Fuir. Quitter ce maître injuste. Se vouloir loin. Séparer les âmes. Distinguer les troupeaux. Refuser les pourquoi. La gardeuse de brebis l’a compris, qui cache bien en elle toutes les déesses. Alors l’homme, fuyant le maître, voit partout le visage de son frère usurpé. »

Après le recueil Livré aux géographes paru en 2018 aux éditions du Cheyne et récompensé par le prix Marcel Thiry 2019, après la réédition dans la collection Espace Nord en 2021 de quelques-uns de ses opus sous le titre Avec l’écarté et autres poèmes, Jacques Vandenschrick délivre un nouveau recueil : Tant suivre les fuyards.

Au terme du Liminaire à cet opus, l’aventure se dessine, quelques signes sont plantés à l’instar d’un décor : comme l’écrit Jacques Vandenschrick, c’est aux flammes de la « fuite », non à celles de l’ « errance » ou de l’ « exil », que la parole viendra alimenter son feu. La nuance est sensible : la fuite peut être immobile, se loger dans les sinuosités d’une pensée.

« Si le fuyard sait les signes de l’itinéraire, il n’a pas, comme exclu du retour, le souci de géographie » ; tout au long du recueil, la dimension spatiale – constance dans l’œuvre de Jacques Vandenschrick – est ramenée à son plus simple appareil : nue, sobre, dépouillée. Les images évoquent un village champêtre, des montagnes où paissent les bêtes, une prairie où le regard contemple les étoiles… Nouée à ce décor rugueux, la mémoire vient s’abreuver aux sensations tactiles et auditives que le mouvement de la fuite fait naître. Au fond, que fuit-on véritablement ? En premier : les fuyards fuient les maîtres.

Laisser aller la vie boiteuse dans le vent qui toujours vient recoudre les pluies aux pluies. Voir, sur les châteaux du ciel, passer l’escadre des nuages, l’ombre qu’ils font sur notre dette indéchiffrable. 

C’est sur les pages que tout se joue, c’est dans le livre que la parole se pose et tente de déchiffrer tout à la fois les signes et les appels laissés par les fuyards. Que l’écoute se fait prégnante, égrenant chacun des quarante petits textes numérotés, ponctués à certaines pages d’interrogations, de questionnements laissés ouverts, en suspens, comme autant d’énigmes des combats intérieurs que portent en eux les fuyards…

Tant suivre les fuyards s’offre comme une méditation, rugueuse et désencombrée, sur les frontières intérieures, leur (possible ou impossible) dépassement, sur l’insaisissable de la fuite qui se cache à l’ombre des sentiers.

Charline Lambert

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