Au nom de tous les miens

Un coup de cœur du Carnet

Bruno HUMBEECK, Comment agir face au cyber-harcèlement, Renaissance du livre, 2022, 170 p., 20 € / ePub : 9,49 €, ISBN : 978-2-507-05750-3

humbeeck comment agir face au cyberharcelementBruno Humbeeck, psychopédagogue à l’Université de Mons spécialisé dans les questions familiales et scolaires, fait le point dans son nouvel opus sur un phénomène désormais impossible à qualifier de rare et anodin: le cyber-harcèlement chez les jeunes.

L’auteur prend le temps de développer le mode de fonctionnement du cyber-harcèlement et ses enjeux, tant du côté de la victime que de l’auteur des faits, qui agit généralement en « meute ». L’univers numérique est vu comme une caisse de résonance augmentant la nocivité du harcèlement classique, à l’aune de la viralité et de la virulence des commentaires émis sur les réseaux sociaux.

Les résolutions dramatiques de ce phénomène par les (tentatives de) suicides de plusieurs jeunes nous invitent toutes et tous à ne plus envisager « l’usage asocial des réseaux sociaux » comme inoffensif. Dans un premier temps, le chercheur nous aide à comprendre la complexité d’une systémique où les conduites agressives collectives diluent la responsabilité de chacun et où l’absence physique de la victime favorise l’intensité de l’hostilité d’un ou plusieurs agresseurs, qui ne voient pas les émotions de l’objet de leur haine. De l’expression « témoins passifs », Bruno Humbeeck raye l’adjectif car toute personne qui like ou partage un commentaire haineux est un « spect-acteur » du lynchage public et donc passible de sanctions judiciaires.

Nous sommes également amenés à appréhender la détresse des victimes et surtout les raisons pour lesquelles elles se sont enfermées dans une prison silencieuse dont elles ont jeté la clé, empêchant ipso facto des parents profondément aimants et des professeurs bienveillants de leur tendre une main secourable et de leur apporter un soutien si nécessaire. Dans un engrenage où il n’y a plus aucun temps mort et aucune zone de repli, où le monstre de la cruauté a envahi même le refuge de la chambre, l’identité naissante et vulnérable de la victime se lézarde, la désespérance jette un voile d’obscurité sur la richesse de son monde intérieur et muselle le jeune, qui tente désespérément d’empêcher une effraction supplémentaire de cette violence inouïe dans son intimité.

Le harcèlement est une violence essentiellement invisible. C’est un tueur silencieux qui agit sournoisement, prend la honte de la victime en otage pour la contraindre à se taire et massacre à bas bruit celui qui subit les coups sans répondre en regardant s’effondrer inexorablement l’échafaudage branlant sur lequel il tente de construire son identité.
En réalité, quand tout est plongé dans le noir, la cécité affective est souvent inévitable. Il est logique alors de ne pas voir que ceux qui nous entourent peuvent nous aider. La désespérance, c’est précisément cette forme de désespoir mise au carré qui non seulement impose de penser que ce qu’on vivra, on est condamné à le subir jusqu’à la nuit des temps, mais suppose aussi d’imaginer que, même si on en parle à d’autres, ils ne pourront rien faire pour nous aider.
L’aveugle, c’est celui qui n’y croit plus, qui ne se fie plus qu’au hasard pour espérer sortir de ce qu’il vit, mettre fin à ce qu’il subit. Et quand le hasard semble avoir joué sa dernière carte, quand il semble acquis qu’il ne donnera aucune chance, alors, l’aveuglé est inévitablement tenté de siffler la fin de la partie. 

Fort heureusement, l’auteur propose des mesures de prévention et d’action concrètes aux parents, enseignants et directeurs d’école afin d’offrir aux jeunes une confiance suffisante pour oser desceller leurs lèvres cousues dans une institution capable de recevoir cette parole et de s’opposer efficacement à l’indicible sans créer de sentiment d’injustice pour qui que ce soit. Une proposition qui n’a rien d’une recette magique car elle invite à insuffler de l’empathie et de facto de l’humanité là où elle se délite, avec douceur mais fermeté, en s’ajustant à la vitesse de l’évolution du monde, proportionnelle à la lenteur de celle du droit.

Comment agir face au cyber-harcèlement doit être entre toutes les mains des parents et enseignants, pour qu’ils puissent veiller du coin de l’œil sur notre jeunesse impatiente d’indépendance, mais pas tout à fait armée pour explorer le monde sans protection. Sans un soutien collectif massif et sans implication des instances politiques et institutionnelles pour mettre en place cette proposition de manière durable, le combat de Bruno Humbeeck restera lettre morte. Ce serait injuste pour l’immense travail effectué par ce chercheur non résigné, mais aussi et surtout pour nos jeunes, qui ont le droit de grandir et d’évoluer en toute sécurité.

Séverine Radoux