Relire le 19e siècle poétique

Pascal DURAND, Poésie pure et société au XIXe siècle, CNRS Éditions, 301 p., 25 €, ISBN : 978-2-271-1403-8

durand poesie pure et societe au xixe siècle« C’est que, littéraires ou professionnels de la chose littéraire, nous sommes tous, à divers degrés de conscience et de résistance, écrits par ce que nous lisons. »

Dans cet essai vivifiant, Poésie pure et société au XIXe siècle, Pascal Durand, professeur (ULg) et sociologue de la littérature et des médias, propose une approche sociologique de la poésie française des débuts du romantisme à la fin du symbolisme. Sont convoqués dans cet essai : les romantiques contre les formalistes ; Leconte de Lisle et ses partisans ; Théophile Gautier, les Parnassiens, Baudelaire, Jules Vallès, Mallarmé, Lautréamont, Laforgue,…

Placé sous l’égide du tableau Le chemin de fer de Manet, le préambule explicite ce qui a pu opposer un Courbet à un Manet : au-delà des différences esthétiques, cette opposition tient au rapport que la pratique artistique de l’un et de l’autre entretient avec ce qu’on pourrait grossièrement appeler le « social » – proximité pour l’un, éloignement pour l’autre. Transposée dans le domaine de la poésie, c’est le renversement des termes « pure poésie » (Hugo, 1829) en « poésie pure » (Baudelaire, 1857) qui figure la révolution qu’ont connue la poésie et la définition du fait poétique au 19e siècle.

En quelques 300 pages, Pascal Durand déplie les ressorts, les enjeux, les héritages, les résistances, les phénomènes de coalition ou de différenciation, les ambivalences et les rapports de force qui frémissent comme autant de rhizomes sous cette révolution, si bien que cette dernière apparait comme difficilement résumable en un conflit linéaire qui opposerait les « pro » aux « anti ». La figure d’un Baudelaire ou le « mouvement Leconte de Lisle » sont par exemple, en ce sens, tout à fait représentatifs des problématiques qui agitent ce débat traversé par les mutations de la société au 19e siècle, par le lien à l’ « institution », aux mythes (par exemple celui du « poète maudit »), aux cénacles, à la doxa – ceux-ci n’ayant bien sûr aucunement valeur d’absolu mais variant selon les époques et les problématiques qu’elles portent en leur sein.

C’est non moins à une véritable reconfiguration du sens, de la question du fond et de la forme, c’est à la mise en œuvre de stratégies rhétoriques ou de « nouvelles » pratiques poétiques, brillamment analysées et mises en lumière par Pascal Durand, que conduit cette révolution qui se déploie en l’espace d’une trentaine d’années. Tant et si bien que, loin d’épuiser ce rapport entre « poésie pure » et « société » – qui, certainement, traversera toujours l’histoire de la poésie –, le sociologue de la littérature Pascal Durand l’inscrit au cœur de questions plus vastes : Qu’est-ce qui fait sens ? De quoi sommes-nous les héritiers ? Est-ce la société qui nous écrit ou écrivons-nous avec/contre elle ?

Charline Lambert

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