Dans  « ma Belgique », il y a « ma belle » et « magique »… 

Grégoire POLET, Petit éloge de la Belgique, Folio-Gallimard, 2022,  115 p., 2 € / ePub : 1,99 €, ISBN : 978-2-07-288599-00
Grégoire POLET, Belgiques – 101 détails, Ker, coll. « Belgiques », 2022, 206 p., 12 € / ePub : 5,99 €, ISBN : 978-2-87586-328-7

polet petit eloge de la belgiqueGrégoire Polet consacre à la Belgique deux ouvrages parus simultanément : le premier à l’enseigne de Gallimard, le second dans la collection « Belgiquese.

Dans Petit éloge de la Belgique, l’éloignement du pays natal pendant plusieurs années a sans doute éclairé d’une lumière nostalgique certains textes. Les épisodes de l’enfance à la Mer du Nord nous valent des pages à la poésie subtile, d’une grâce semblable aux aquarelles de Rik Wouters. Polet y écrit les rêveries d’enfant avec « des mots-voiliers sur l’horizon de la mer ».

La diversité des tons du recueil en fait un kaléidoscope scintillant où s’entrelacent l’ironie douce-amère, l’espièglerie et la  tendresse souriantes de l’auteur qui démultiplie les points de vue et les styles. Ainsi s’assied-il à la table de Crommelynck et Zweig à Oostende en juillet 1914, s’installe-t-il au chevet d’Oscar Thiry dans un hôpital de Crimée où le grand blessé de l’expédition des auto-canons croit que son petit frère Marcel l’a abandonné ; accompagne-t-il Nel et son « corps de lumière » dans les baraquements du camp où son mari Rik Wouters a été enfermé.

Avec une jubilation d’écriture, vive, alerte, inventive, sans cesse renouvelée, Grégoire Polet raconte ce que montrait la télé lorsqu’il avait entre 7 et 10 ans (Françoise van de Moortele, le naufrage du Herald of free enterprise, la victoire de Sandra Kim…). Lorsqu’il abandonne les souvenirs d’enfance (il nous a menés à Saint Idesbald faire du cuistax !), c’est pour mieux repartir sur les traces du Prince de Ligne qu’il accompagne dans le carrosse de Catherine II (la Tsarine y accueille Polet sans façon : « Il est vrai que les Belges, ne faisant généralement peur à personne, sont les bienvenus partout »). Polet reviendra aussi de manière récurrente sur  la guerre 14-18 et cet épisode des auto-canons-mitrailleurs qu’il évoquait déjà en 2018 dans le collectif Armistice (Gallimard).  

La fantaisie de ce livre débridé est particulièrement stimulante. L’auteur a suivi à la lettre un des exergues du livre, celui du Prince de Ligne : « Ma maudite imagination ne veut pas se rider (…)»

polet belgiquesBelgiques. On sait que le principe éditorial de la collection « Belgiques » est de réunir des nouvelles de fiction consacrées à une seule thématique : la Belgique. Grégoire Polet a choisi de décliner la sienne en 101 détails, écrits dans les cafés où l’inspiration, « matière mentale inerte, est activée par les bactéries aériennes du lieu ». Dans le dernier texte, Ardoises, Polet adresse d’ailleurs ses remerciements aux différents « bars, cafés, cafétérias, brasseries et estaminets »  qui furent autant d’étapes (principalement bruxelloises) de cette traversée géographique et historique du petit royaume. On retrouve quelques figures et quelques épisodes déjà évoqués dans son Petit éloge (les frères Thiry, Albert Dürer, Ligne) mais, ici, la fiction prédomine, racontée par les narrateurs qui sont autant de personnages « soigneusement créés en creux » : la voyageuse qui effectue en stop la première étape de son tour du monde, l’écrivain surmené et la vente incompréhensible de ses bouquins, le supporter de l’Inter Milan qui se croit mort dans sa pizzeria… D’autres nouvelles mettent en scène des personnages véridiques: Anna Boch, « la seule personne à avoir acheté un tableau à Vincent Van Gogh. Du vivant de l’artiste », Marie Monnom, devenue par mariage Marie van Rijsselberghe après avoir été l’amour passion de Verhaeren ; Max Elskamp, dans une nouvelle glaçante, mettant en scène, avec d’autres convives, Marie Gevers et André Gide le soir de la mort du poète anversois, Grégoire Le Roy, poète oublié dont Polet, au Mokafé, « relance pour un petit tour la présence de ses ondes ». D’autres, micro-histoires, sont autant de fulgurants instantanés comme ce court texte évoquant une livraison de menus japonais par un jeune cycliste. D’autres encore évoquent par leurs énigmes en suspens l’inspiration surréaliste dont un portrait éclaté de la Belgique ne pourrait faire l’économie.

Avec ces deux recueils, Grégoire Polet projette des éclats de lumière sur l’histoire et la géographie singulières de sa Belgique. Chaque image, comme autant de « clignotements d’âme » éveille chez le lecteur cette « mélancolie intempestive » que l’auteur sollicite avec grâce, ne laissant jamais la gravité estomper la fantaisie, l’humour, la drôlerie. Chaque nouvelle est un enchantement. Puisse-t-il grâce à une traduction en néerlandais, franchir un jour la frontière vers le Nord du pays.

Jean Jauniaux

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