Frédérique MARTIN-SCHERRER, Pol Bury. Livres et écrits, CFC-Editions et Centre Daily-Bul & Co, 2022, 272 p., 27 €, ISBN : 978-2-87572-080-1
Pol Bury. Va et vient, Catalogue trilingue, avec les participations de J. Gobert, L. Wilmot, L. Leoni, Ch. Veys, V. Blondel, F. Martin-Scherrer, Centre de la Gravure et de l’Image imprimée, 180 p., 125 illustrations, 35 €
En 1965, Pol Bury (1922-2005) publie Le petit commencement dans la collection des « Poquettes volantes » des éditions du Daily-Bul. L’auteur a dépassé de peu la quarantaine d’années, il est alors un artiste internationalement reconnu. Il a trouvé le succès financier à New York, après la renommée artistique à Paris, grâce à ses sculptures mobiles d’une lenteur incomparable, ses créations de boules et d’objets monumentaux, que viendront encore compléter les fontaines de métal actionnées par d’invisibles et silencieux mécanismes. Dans Le petit commencement, Bury établit une comparaison tout en nuances entre le volume de ses sculptures, si renommées pour leur masse… et la surface du papier, qu’il n’a jamais cessé de travailler du bout des doigts, sa vie durant.
En témoignent ses très nombreux carnets personnels, manuscrits ou feuillets dactylographiés, des tracts, des livres édités, des cartes blanches et articles qu’il donne à des revues et journaux, et bien sûr des images imprimées, estampes et détournements d’images qui occuperont une part déterminante de son œuvre plastique. « Lorsque le volume cherche son chemin dans l’épaisseur de l’espace », écrit alors Bury, « il ne laisse pas de trace… Mais le papier peut se laisser faire, ses limites lui laissent le temps de se marquer… »
Cette effervescence créative autour de l’imprimé (au sens large) et de l’écrit (dans son acception spécifique), on la découvre, en cette année du centenaire de la naissance de Bury, dans deux expositions à La Louvière, l’une chez Daily-Bul & Co, et l’autre au Centre de la Gravure et de l’Image imprimée. Elles s’accompagnent de deux publications qui rappellent de manière approfondie l’importance fondamentale et parallèle de l’écrit – souvent associé à l’humour pince-sans-rire ou à la blague sentencieuse – chez l’auteur des Gaietés de l’esthétique (Denoël, 1984).
Les deux relais principaux de Bury sont, à New York, la John Lefebvre Gallery, et à Paris, après les galeries Iris Clert et Denise René, la galerie (et la Fondation) Adrien Maeght, qui a la particularité, elle, d’avoir son propre atelier d’imprimerie. Cette gloire internationale du sculpteur, pourtant, n’a pas fait oublier à Pol Bury qu’il est né à Haine-Saint-Pierre (en 1922), et que la majeure partie de son éducation littéraire et artistique s’est déroulée à Mons et surtout, à La Louvière. S’il est passé (non sans découragements fréquents) du surréalisme belge de Magritte à CoBrA, s’il s’est un temps adonné à la création d’un art abstrait et construit (autour de Jo Delahaut), les débuts de Bury sont également marqués par une appétence extrême pour les livres et la littérature. Celle qu’il propose en tant que libraire à La Louvière, au tout début des années 1950, et surtout celle qu’il va produire, comme auteur et éditeur, avec son cadet louviérois et ami, André Balthazar (1934-2014).
Ils fondent tout d’abord l’Académie puis les éditions de Montbliart, qui passeront le relais en 1957-58 à la revue du Daily-Bul, et à la maison d’édition du même nom. Autour de ce duo, deux figures tutélaires, deux poètes, venus – et revenus – du surréalisme, jouant de la dérision, de l’humour, et d’un sérieux apparent : Marcel Havrenne (1912-1957) et Achille Chavée (1906-1969). Les éditions de Montbliard, à l’origine initiées pour publier les poèmes de Chavée, passeront ensuite à la vitesse supérieure, dans une réactivité calculée qui contraste par moments avec l’éloge de la lenteur professé par Bury sculpteur.
Frédérique Martin-Scherrer développe l’histoire et les mouvements de l’écrit chez Bury, s’attachant à en discerner les différentes époques et couches, ainsi que la constante attention de celui-ci à laisser le champ libre à l’écriture réflexive, au manifeste irrévérencieux, au « dérisoire absolu », ou à la polémique : lorsqu’il brocarde, seul, avec Balthazar, ou avec d’autres complices, le langage amphigourique, la surenchère lexicale, et les pratiques néo-académiques de ce qui n’est plus, selon lui, qu’un avant-gardisme de posture. Véronique Blondel, dans le solide catalogue de l’exposition au Centre de la Gravure, souligne quant à elle la constante inventivité de l’artiste au travail sur le papier. Au-delà des techniques traditionnelles de l’estampe, et reprenant illustrations du passé, images de monuments historiques ou chefs-d’œuvre de l’art, Bury les triture et transforme en toute liberté, grâce à de multiples innovations graphiques dont les « cinétisations » et les « ramollissements » sont des exemples signifiants. Tirant parti de toutes les situations, des plus incongrues aux plus sérieuses, Pol Bury révèle qu’il avait plus d’un tour dans son sac à malices.
Alain Delaunois
Plus d’information
- Deux expositions autour de Pol Bury ouvrent à La Louvière en octobre 2022 :
- Voix surréalistes. Le corps des mots. Exposition au Centre Daily-Bul & C°, 14, rue de la Loi, La Louvière, du 15 octobre au 15 janvier 2023.
www.dailybulandco.be - Pol Bury. Va et vient. Exposition au Centre de la Gravure et de l’Image imprimée, 10 rue des Amours, La Louvière, du 29 octobre au 12 mars 2023.
www.centredelagravure.be
- Voix surréalistes. Le corps des mots. Exposition au Centre Daily-Bul & C°, 14, rue de la Loi, La Louvière, du 15 octobre au 15 janvier 2023.
- Pol Bury, à la fontaine de l’art et de l’écriture (PDF, article paru dans Le Carnet et les Instants n°213, 2022)
- La fiche de Pol Bury